TEMPÊTE DE SABLE, la farouche, l'indépendante, l'impétueuse et caractérielle Tempête de Sable.
Lorsqu'elle prenait du recul sur sa vie, Tempête de Sable se rendait compte de l'ampleur du désastre. Qu'avait-elle fait ? Que lui était-il arrivé ? Était-elle vraiment devenue cette femelle passive, lisse et sans volonté, se contentant de jouir de son rôle de compagne du chef ?
L'Histoire ne retiendrait d'elle que son dévouement envers Étoile de Feu. Elle qui voulait rentrer dans les annales, devenir une héroïne légendaire à laquelle les chatons rêvent de ressembler, elle ne jouerait que le rôle de la demoiselle en détresse, vide et sans intérêt, réduite à une simple décoration ?
Quand, exactement, avait-elle laissé tomber ?
Peut-être qu'elle n'avait jamais vraiment essayé.
Peut-être qu'elle s'était contentée de rester dans l'ombre, abandonnant ses ambitions.
Désormais, il était trop tard. Tempête de Sable n'était plus qu'une simple ancienne rongée par les doutes et le deuil. Réduite à se lamenter sur sa vie plate. Au fond, quand elle observait l'épanoui Clan du Tonnerre, fort de ses guerriers solidaires et courageux, de sa reconstruction après de nombreuses batailles, elle s'apercevait qu'elle n'avait pas contribué à son essor. Ce n'était pas elle qui l'avait conduit à la victoire, qui l'avait guidé vers la réussite. Elle n'avait été que spectatrice.
Spectatrice de sa propre vie.
Quand elle admirait ses deux filles, déterminées et braves, aux destinées respectives grandioses et aux accomplissements notables, rentrer dans la légende comme leur père, elle comprenait que ce n'était pas grâce à elle.
Après leur avoir donné vie, elle n'était pas restée bien longtemps dans la pouponnière, les confiant aux autres reines plus aptes à les élever. Elle ne s'était pas impliquée dans son rôle de mère. Elle les avait regardées grandir de loin, sans essayer de rattraper le temps perdu. Il était trop tard. Ses filles étaient déjà âgées, avaient donné vie à leur tour, elles s'étaient éloignées sans chercher à se rapprocher de cette mère absente. Leurs interactions se limitaient à des salutations courtoises.
Quelle enfance avaient-elles vécu ? Toujours dans l'attente d'une visite, d'une attention de leur mère. Jusqu'à ce qu'elles se résignent.
Étoile de Feu n'avait pas vraiment été là pour elles, lui aussi. Occupé comme il était. Au point d'en oublier sa propre compagne. Tempête de Sable s'était sentie négligée. Comme toujours. Elle veillait sur lui sans rien en attendre en retour. Elle l'aimait, bien sur. Tout en souffrant de ces absences, de ces secrets, de ces non-dits. Il préférait Petite Feuille à elle, elle l'avait toujours senti.
Petite Feuille, si douce, si appréciée. De son vivant, Tempête de Sable l'avait à peine connue. Elle savait pertinemment qu'Étoile de Feu aussi. Pourtant, elle percevait clairement l'ombre de la jolie guérisseuse entre eux. Qu'avait fait cette dernière pour mériter autant de considération, à part proférer de temps en temps des prophéties énigmatiques ?
Le pire avait été lors de la Grande Bataille, sans doute. Petite Feuille lui avait sauvé la vie, s'était sacrifiée pour elle, en martyre admirable. Exemple de générosité. Alors que Tempête de Sable n'aurait sûrement été prête à en faire de même avec cette détestable Miss Parfaite, qu'elle haïssait intérieurement. Elle n'avait pas manqué de voir l'étincelle désespérée dans les yeux d'Étoile de Feu, cette voix bouleversée la supplier de rester, parce qu'il avait toujours espéré la rejoindre au Clan des Étoiles. Confirmant par là qu'il la préférait. Et qu'il l'aurait choisie à sa dernière demeure.
Tempête de Sable avait été infiniment et cruellement satisfaite de la voir disparaître dans le Néant, bien que la guérisseuse semblait s'être assurée qu'on ne l'oublie jamais.
Étoile de Feu avait beau être souvent absent, il était son seul ancrage, et constater qu'elle n'était qu'un lot de consolation pour lui ne faisait qu'alimenter sa lassitude croissante.
La vie n'était pas parsemée des doux pétales de la rose, mais plutôt de leurs redoutables épines.
Pour chaque caresse, une morsure. Chaque beauté recelait sa part de laideur. Si la vie de Tempête de Sable semblait parfaite, ce n'était pas le cas.
Elle aussi avait vécu dans l'attente. Toujours attendre. Sans faiblir, sans protester. Attendre. Attendre que ses parents lui montrent un peu d'attention. Sa mère, Plume Blanche, aimante mais souvent distante, peu présente, qui s'était rapidement remise en ménage avec Tornade Blanche, allaitant d'autres chatons, qui était morte brutalement sans que sa fille puisse nouer une véritable relation avec elle. Quant à son père, Plume Rousse, un soit-disant héros vite oublié...Tempête de Sable n'avait jamais essayé de faire un premier pas vers lui. Elle avait attendu, attendu que les choses se fassent d'elles-mêmes, comme toujours, puis elle avait regretté plus tard. Trop tard.
Attendre son baptême de guerrière alors que Cœur de Feu l'avait eu plus jeune qu'elle. Attendre qu'il comprenne ses sentiments, attendre qu'il renonce à Petite Feuille ou à Museau Cendré, attendre encore et toujours qu'il vienne vers elle, qu'il fasse attention à elle, accaparé par ses occupations. Elle avait du attendre également pour avoir des chatons, attendre qu'il lui donne des apprentis, attendre enfin la mort pour le rejoindre.
Sa vie n'avait été qu'attente perpétuelle.
Quand Feuille de Lune s'était enfuie, Tempête de Sable avait du admettre qu'elle n'avait pas idée des tourments qui la rongeaient.
Lorsque ses trois petits-enfants étaient nés, elle n'avait pas fait attention à eux, se confortant dans l'idée qu'ils étaient entourés de toute part. Elle n'avait pas deviné les indices évidents de la sombre machination qui entouraient leur naissance. Pour eux, elle n'était qu'une vétérane ordinaire. Elle aurait pu être une grand-mère aimante, une confidente de choix, mais elle n'avait pas fourni le moindre effort.
Partant du principe faussé qu'elle échouerait dans tout ce qu'elle entreprendrait, elle s'était découragée.
Elle avait essayé de se rattraper avec les enfants naturels de Poil d'Écureuil, qui les avait eus sur le tard, tentant d'être pour eux une présence familière. Avait-elle réussi ? Elle n'en avait aucune idée.
Elle aurait pu être cheffe, lieutenante, combattante héroïque, menant ses camarades avec bravoure, elle n'avait été qu'une décoration sur le Promontoire, une ombre près de son compagnon. Une présence dispensable. Qui la regretterait ?
Pourtant, Poil d'Écureuil siégeait aux cotés de son compagnon en bénéficiant d'une autorité semblable. Elle ne s'était pas laissée marcher dessus.
Toutes ces innombrables fois où elle s'était tue sans exprimer son avis, tout ce qu'elle avait repoussé inlassablement au lendemain...
Pourquoi ? Pourquoi ne s'était-elle pas reprise en patte, pourquoi s'était-elle résignée ? Peut-être que c'était plus simple ainsi. Plus confortable de se complaire dans une vie morne et routinière, d'être passive, de se laisser aller, de céder aux difficultés de la vie, plutôt que de se battre.
Tempête de Sable avait toujours rêvé d'être l'héroïne d'une histoire.
Elle jouerait jusqu'au bout le rôle de la compagne faible et sans caractère.
Il n'y avait rien de pire que se réfugier dans les souvenirs en croyant se réconforter et finir par n'y tirer que des regrets acides, des remords amers et de douloureuses désillusions.
Elle avait abandonné ses ambitions, elle s'était laissée emporter dans la tempête, s'était voilée la face avec hypocrisie, avait laissé la bruine éteindre le feu qui brûlait, farouche, dans sa poitrine.
Alors qu'elle se laissait fondre dans des ténèbres profondes, incertaines, lançant un dernier regard de regret à sa vie gâchée, elle espérait simplement qu'on lui donne une seconde chance.
1214 mots
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↬ Au-delà des héros- Nouvelles LGDC
Fanfiction❝La légende omet souvent les ombres tourmentées que laissent les héros sur leur sillage.❞ ➵ Ils s'appellent Museau Cendré, Petite Écume, Poil de Bourdon... Ce sont des éléments du décor, de simples pions sur l'échiquier du destin. On pense les conna...