L'homme masqué

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Torielle

Torielle chercha longtemps Stéphane. Il n'était pas dans la voiture, cachée entre deux arbres à quelques dizaines de mètres de la maison, et en posant son regard autour d'elle, la jeune femme ne voyait que l'herbe et la bruyère danser au rythme du vent. Ses longs cheveux noirs portés eux aussi dans la direction de la brise, elle devait se dégager la vue régulièrement pour espérer trouver le médecin. Dans le calme ambiant, ses pas furent guidés par le grondement de la mer. Elle s'avança à travers la broussaille, se rapprochant de l'immensité de l'horizon. De ce côté de l'île, l'impression d'être seul au monde était d'autant plus renfoncée. Pas de terre visible au loin, juste le calme plat de l'océan qui plongeait à l'infini vers le soleil couchant. Mais aujourd'hui, en pleine journée, le soleil était caché par un amas dense de nuages gris, et l'air était frais.

Torielle s'avança jusqu'au bord de la falaise, jusqu'à ce que le bout de ses chaussures plonge presque dans le vide. Il y avait bien une soixantaine de mètres de hauteur entre elle et la mer. Elle sentit les battements de son cœur s'accélérer. Une bourrasque inattendue et elle tombait, elle flottait jusqu'à atteindre la surface de l'eau froide. Elle frissonna, puis recula d'un pas. Rien ne pouvait y faire, jamais elle ne supporterait l'eau. Matthieu avait été la seule et unique personne à lui redonner confiance en elle. Dorénavant, elle se rappelait à peine de cette période où elle allait se baigner en été avec ses amis.

"Torielle se baigne enfin ! Deux ans qu'on attendait ça nous ! Comment tu as fait Matthieu ?"

"Elle pouvait pas résister à l'envie de nager avec un corps de rêve comme le mien à ses côtés".

Torielle chassa ce souvenir. Les amis qui lui étaient apparus n'étaient aujourd'hui que des éléments du passé. Elles ne savaient même pas ce qu'ils étaient devenus, depuis le lycée.

Torielle se décida à prendre le minuscule sentier qui semblait plonger à pic de la falaise. Elle dut se raccrocher avec ses mains pour ne pas dégringoler la pente raide, et entre d'innombrables zigzagues et escaliers très peu aménagés, elle parvint à atteindre la plage. Quelques cailloux roulèrent sous ses pieds alors qu'elle s'extirpait du chemin à peine praticable, et enfin elle foula le sable avec ses chaussures. Les grains étaient grossiers et se mêlaient avec les graviers qui faisaient un doux bruit de ruissellement lorsque les vagues les emportaient pour venir les redéposer. Stéphane était assis un peu plus loin sur la gauche, genoux repliés contre lui, une main caressant le sable gris. Elle boita jusqu'à lui, la douleur à sa hanche s'étant bien réveillée.

- Je t'avais dit que si tu faisais des efforts inutiles je te cassai l'autre côté, lança-t-il avec un ton grave sans quitter l'océan des yeux.

- Je vais prendre le soin de juger ce qui m'est utile ou pas, cingla-t-elle.

La policière s'assit pourtant timidement à côté du grand homme qui se recroquevilla un peu plus sur lui même. Lui pourtant si grand et imposant paraissait tout d'un coup très vulnérable. Elle regarda un moment ses boucles brunes rebondir sur son front, son visage se crisper et ses lèvres se pincer. Mais ses yeux émeraudes eux ne bougeaient pas. Elle se décida à suivre son regard.

Les rouleaux de la mer sur le rivage n'étaient pas aussi impressionnants que lors des jours de tempête. Ils étaient plus doux, plus chantants. Torielle regardait l'écume s'approcher de ses pieds sans crainte, elle avait appris à apprécier la plénitude de l'océan. Sa contemplation la terrifiait moins, elle essayait de se détendre, pour accueillir la mer comme une amie, et non comme un lieu rempli de mauvais souvenirs. Elle avait cependant horreur de la toucher, même du bout des orteils. Chaque fois l'image de la cuve remplie d'eau lui revenait en tête, ses cris et sa peur, la sensation de manque d'air et de panique. Mais ici elle ne lui voulait pas de mal, au contraire, elle lui offrait un cadre agréable. Elle était auprès de Stéphane, ils regardaient l'océan ensemble, côte à côte.

L'anti-hôte [Partie 2] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant