Prologue

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Des torrents d'eau s'abattaient sur les toits de Cambridge. On avait tiré les rideaux, fermé les volets en prévision de l'orage. Mais si un curieux avait jeté un coup d'œil par la fenêtre, il aurait vu l'un des notables de la ville braver les éléments, enveloppé dans un long manteau détrempé. Vingt heures allaient bientôt sonner. Rien d'anormal à cela, ce serait-il dit.

La tête rentrée dans les épaules, le col de son manteau remonté, Benjamin Fitzgerald avançait à grandes enjambées, n'ayant que faire des flaques d'eau détrempant ses chaussettes ; en sept décennies passées en Angleterre, il avait appris à vivre avec les pieds mouillés. Mais son empressement n'était en aucun cas lié à l'averse, ni même à un potentiel soupé l'attendant à la maison. Il s'agissait d'une affaire autrement plus urgente.

Il salua d'un signe de tête le vieux chapelier avant de disparaître dans la minuscule ruelle adjacente au magasin. C'était un cul-de-sac, mais le professeur vivait ici.

Benjamin sortit de sa poche une grosse clé ancienne, sésame de sa demeure, et comme le temps lui manquait, il ne s'attarda pas à la reverrouiller de l'intérieur. Grimpant les marches deux à deux, son arrivée fut une tempête dans la quiétude de l'habitation. Au salon, afférée à son bureau, son assistante sursauta.

« Swann, sortez les dossiers ! Vous préviendrez Miss Schwarzmann également ! »

Il n'attendit pas de réponse : la jeune femme savait de quoi il en retournait et déjà, elle décrochait le combiné du téléphone.

Une fois dans sa chambre, Benjamin s'empara d'un fusain et d'une feuille de papier.

Vite, plus vite.

Les images s'évanouissaient déjà dans son esprit.

Œil acéré et sourcils froncés, il s'attela à ses esquisses.

Un jardin commença tout d'abord à voir le jour. Un lieu merveilleux, aux arbres alourdis de fruits rougissant sous les rayons d'un soleil méditerranéen. Bien sûr, les couleurs enivrantes ne naissaient que dans son esprit. A ce jardin, il ajouta une jeune femme nue : peau pâle, formes rebondies. Elle ressemblait à une nymphe, sur ces peintures de la Renaissances italiennes.

Le professeur se frotta le menton et ferma les yeux : quelle était cette autre image, déjà ? Ah oui ! Vivement, il se remit à croquer un tableau cette fois-ci bien moins enchanteur. Du haut d'un escalier monumental, deux silhouettes pointaient du doigts quatre hommes agenouillés.

Mais qui étaient ces deux femmes drapées de cruauté ? Benjamin se concentra davantage. De la soie. Oui, un bandeau de soie recouvrait le visage de l'une d'entre elle et un glaive était accroché à sa taille. Elle était belle, altière. L'autre femme, elle, détournait le regard et semblait regretter de devoir arracher la vie à ces jeunes hommes.

La qualité artistique de son travail ne semblait pas suffisante pour ravir le professeur, au contraire. Son second dessin n'évoquait que de sombres augures. Cela ne faisait aucun doute : il s'agissait bien de Thémis présidant sur l'assemblée, et pourtant, cela n'avait rien d'un procès. C'était une condamnation à mort.

Il posa son crayon, contempla son œuvre, le souffle court, l'esprit en ébullition. Son manteau gouttait au sol, ses cheveux ruisselaient dans sa nuque, mais l'homme s'en fichait. Ces esquisses... Un contraste saisissant, une issus inaltérable. Tel en avait toujours été.

Si son estomac se lesta de plombs, le funeste devenir de ces garçons ne le préoccupait pas d'avantages ; Benjamin ne pouvait de toute façon rien y faire. La mort cueillait sans distinction, impartiale plutôt que cruelle, et Benjamin était en paix avec elle. Non, seul le tueur l'intéressait. Une femme.

L'Institut FitzgeraldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant