Cambridge

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Nous arrivâmes à Cambridge vers six heures du matin. Rares étaient les voitures et quand nous mîmes pied à terre dans un parking privé, au centre de la ville médiévale, il n'y avait pas âme qui vive. Alors que nous nous pressions après Kaleb qui semblait bien connaître l'endroit, le son de nos pas raisonnaient dans les rues pavées et détrempées ; il fallait faire attention aux flaques d'eau et Arthur qui n'avait pas de chaussures pestait comme un beau diable.

Mes pensées étaient vides, les muscles de mon visage semblaient raides, durcis comme de l'argile.

Kaleb bifurqua dans un passage étroit, presque exigu, situé entre le magasin d'un chapelier et un magasin de vêtements, tous deux promettant des atours de belle facture. Au-dessus de nos têtes, la façade d'une vieille bâtisse en pierre s'élevait plus haute encore que les maisons environnantes. L'entrée était marquée par une épaisse porte de bois taillée en ogives. Sans attendre, Kaleb y sonna.

Quelques secondes suffirent pour qu'on vienne nous ouvrir, une jeune femme apparue.

« Entrez, je vous en prie. »

Je reconnus la voix de notre interlocutrice à l'autre bout du téléphone : Swann Sweetlove.

Kaleb entra suivi du jeune français. Dans l'escalier du perron, je trébuchai mais la secrétaire me rattrapa habillement.

« Faites attention, ça glisse. »

Nous attendîmes qu'elle donne les trois coups de verrous qui scellèrent la porte avant de faire volte-face pour nous offrir un sourire en coin.

Swann Sweetlove était une jeune femme de vingt-cinq ans tout au plus, à la peau caramel, aux traits fins et singuliers, aux cheveux lisses, noirs et soyeux. Son accoutrement bigarré attirait l'œil : un chemisier vert anis mettait en valeur sa taille fine et sa poitrine menue, une jupe ocre enserrait ses hanches mais ne dévoilait pas même ses genoux. Elle était grande, très grande ; cela ne l'empêchait pas de pousser l'excentricité à porter des escarpins rouges à lanière qui auraient tout eu de commun si toutefois elle n'avait pas enfilé une paire de chaussettes d'un orange brûlé.

« Eden Dawkins, n'est-ce pas ? »

Je hochai la tête et serrai la main qu'elle me présenta, ferme mais douce.

« Arthur ? Et Kaleb. Ravie de vous rencontrer. Swann Sweetlove. »

Tous deux eurent droit à la même poignée de main. Kaleb était raide, son visage ne se déridait pas.

« Arthur a eu de la fièvre. Eden et moi devons nous reposer. »

Swann n'attendit pas une seconde de plus pour prendre les choses en main. Elle nous fit monter à l'étage, où se trouvait réellement l'habitation. Nous eûmes chacun droit à une aspirine et la jeune femme nous envoya nous coucher en silence. Benjamin Fitzgerald était rentré très tard d'une réunion importante, le moindre bruit aurait été malvenu.

Après avoir aidé Arthur à se changer et à se mettre au lit – le jeune garçon tremblait à nouveau de fièvre – Kaleb entra avec moi dans ma chambre et en ferma la porte. La pièce jouxtait celle du fondateur de l'Institut.

Le jeune homme semblait mener un combat de chaque instant pour garder les yeux ouverts, la pression qui l'avait maintenue éveillé jusqu'à destination s'étant à présent dissipée. Il posa mon sac sur une chaise face au lit. Sa voix était basse, éraillée.

« Tout va bien se passer, maintenant. Benjamin saura quoi faire. »

Il hésita, flancha : devais-je le prendre dans mes bras ? lui dire, à mon tour, que tout allait s'arranger ? Sa main était glacée quand je la pris. La mienne, moite.

L'Institut FitzgeraldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant