Le Tournois

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Le mardi, j'assistai à l'effervescence qui agitait le château sans y prendre part.

Le Tournois fut avancé à seize heures, le soleil se couchant beaucoup plus tôt à cette période de l'année. Du fait de la météo pluvieuse, Liesel avait fait passer un mot enjoignant à chacun de prendre ses précautions pour la soirée.

L'événement se déroulait de l'autre côté de la colline, derrière le château, au beau milieu des bois. Les plus âgés étaient partis préparer le terrain pour le rendre praticable. Je trouvais stupéfiant qu'ils soient si heureux à l'idée de passer leur soirée dehors, sous la pluie et dans ce froid mordant.

Vers quatorze heures, ils avaient tous revêtu les vêtements aux couleurs de leurs équipes, du bonnet à l'écharpe. Des filles s'étaient emparées des pots de peinture corporelle, que les élèves s'appliqueraient une fois sur place.

Tous réuni au pied de l'escalier, ils attendaient le feu vert pour se rendre sur le lieu de l'affrontement. L'air vibrait d'une euphorie palpable.

Quand enfin l'un des agents du château entra et annonça le départ, tous se précipitèrent dehors. Hermine sortit la dernière en compagnie de Haru, me faisant un signe d'au revoir de la main.

Dans un salon, un thé avait été préparé à mon attention, seule compagnie dans le château désert. Malgré tout, j'étais curieuse et une pointe d'envie me tiraillait : les dons des élèves restaient pour moi un mystère, n'ayant seulement vu Hermine et Kaleb user du leur. Haru aussi, à la réflexion, mais il en était le seul spectateur.

Ce soir, la forêt risquait d'être agitée.

Ma tasse chaude entre les mains, je m'adossai confortablement au fauteuil, les oreilles teintant dans le silence inhabituel. J'avais pris goût aux babillages et aux chahuts perpétuels bien plus rapidement qu'escompté.

Cela ne faisait que cinq jours depuis mon arrivée à l'Institut.

Cinq minuscules journées, plus trépidantes que n'importe quel autre jour de mes dix-sept années de vie.

Les affreuses pensées des vestiaires n'étaient pas revenues, et je mettais ce miracle sur le compte des conversations quotidiennes avec Liesel – dans son boudoir, au milieu des jardins, sur un balcon... Elle prenait soin de moi, veillait sur mon sommeil ; je le sentais à chaque réveil, se réconfort moelleux flottant autour de mon corps.

Nul besoin de lui faire part de mon premier entraînement catastrophique ; Kaleb s'en était chargé le soir-même. Elle ne revint pas dessus, et se contenta de répondre à mes interrogations ou tout simplement, de discuter. Elle m'aidait à prendre du recul, aussi. Sur Paulo et ses amis. Leurs familles. Mon père, Abby, et ma vie que j'avais eu l'impression de fuir. – Chercher à être heureuse, ce n'est pas fuir, avait dit la directrice. Par ailleurs, il me semble qu'ici aussi tu as trouvé ton lot d'inquiétudes. J'avais ris. – J'imagine qu'on ne se refait pas. – Hauts les cœurs, Eden ! Préfèrerais-tu mener une existence placide, sans tracas ni émotions fortes ? – Oh, je doute que cela me soit même possible. Je me noie si facilement dans un verre d'eau... Ses yeux marines avaient étincelé dans le soleil couchant. – Ta sensibilité est une force, Eden, il faut simplement que tu l'acceptes comme telle. J'avais fait une moue dubitative. – Vous êtes si sage pour votre âge ! Je vous envie. Et à Liesel de m'offrir un sourire énigmatique. – Qui te dis que ces mots sont de moi ? – Vous a-t-on fait cette même remarque ? Elle avait haussé les épaules. – Aucune apathie ne saurait former de dons aussi puissants que les nôtres, Miss Dawkins.

Dès lors, j'avais observé la directrice et mes camarades sous un jour nouveau. Kaleb en particulier. Ressentaient-ils vibrer ce même bouillonnement, ce même bouleversement dans leurs entrailles ? Qui balayait toutes once de rationalité et déclenchait des cataclysmes ? Kaleb était-il en proie à des émotions identiques ? L'indice de Liesel me poussait à croire que oui.

L'Institut FitzgeraldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant