Secret bien gardé

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La réunion entre Benjamin et Abbott s'était éternisée. Quand enfin ils avaient refait surface de l'antre qu'était devenue la salle-à-manger, leurs traits préoccupés et éreintés nous avaient dissuadés de les questionner. Ils s'étaient serré la main puis la porte avait été fermée.

Aujourd'hui, Benjamin était parti de bonne heure en compagnie de Swann pour Londres au sujet d'affaires urgentes et cette dernière avait pris soin de ranger tous les dossiers dans une armoire à laquelle elle avait donné un tour de clé, et bien entendu, emporté ladite clé.

Au moins, cela bridait toutes tentations.

Willard était repartit la veille, tard dans la nuit : il louait un appartement en ville, et je fus on ne peut plus soulagée de ne plus avoir à le supporter une heure de plus. Quand il avait proposé à Kaleb de repasser demain, ce dernier avait décliné sans même qu'Arthur ou moi n'ayons à lui faire de dessin. Quelle prévenance.

Kaleb était parti courir sur les abords de l'université, Arthur était dans sa chambre occupé à lire, alors j'errais comme une âme en peine, désœuvrée, rongée par la curiosité.

Ne pouvant tourner en rond une seconde de plus, je retournai dans ma chambre. Là, j'attrapai les deux comics prêtés par Kaleb et filai jusqu'à sa chambre. Sa mise en garde sifflait à mes oreilles, mais je doutais qu'il puisse m'en vouloir pour un simple échange de comics. Je ne comptais pas m'y attarder plus que ce qui s'avèrerait nécessaire.

Sa chambre était la même que l'unique et dernière fois où j'y étais entrée, à quelques détails près : son lit était défait, des vêtements avaient été soigneusement posés sur sa chaise de bureau, et des feuilles recouvraient ce dernier. Je me penchai vers les ouvrages, sélectionnant rapidement les tomes qui m'intéressaient. En me retournant, le matériel éparpillé sur son bureau attira mon regard.

Au milieu des crayons, pinceaux et estampeurs, des œuvres d'arts avaient vu le jour ; j'en restais stupéfiée. Des peintures, des estampes, des dessins plus affinés. Kaleb peignait des super-héros de bande dessinées dans des couleurs vives ou des aquarelles. Je n'en reconnu aucun et en déduisis donc qu'ils sortaient tout droit de son imagination. L'un d'eux attira particulièrement mon attention : un homme aux muscles fins, au corps athlétique, magnifique. Il était tombé à genoux, son corps crispé, le visage levé et les traits tordus par un cri qui semblait résonner entre les murs de la chambre. Du vent ou des éléments magiques semblaient tournoyer autour de lui. Il était déchaîné.

La porte de la chambre claqua contre le mur et je me retournai en sursaut. Kaleb se tenait devant moi, le visage plus dur que jamais, une veine frappant contre sa tempe. Le sweat qu'il portait pour courir était trempé du fait de la pluie, ses cheveux gouttaient sur le parquet. Le temps était sur pause. Je réalisai mon erreur en croisant son regard : je n'aurai jamais dû rentrer.

En vain, je tentai de dissimuler la planche dans mon dos quand mon souffle fut coupé net. Une force invisible me projeta en arrière, je m'écroulai sur le matelas. Des mains m'y clouèrent sans ménagement. Ses yeux étaient froids, arctiques.

« Je t'avais dis de ne pas entrer ! »

Sa fureur était glaciale.

« Je t'avais dit ne pas entrer, Eden ! Alors pourquoi ! Pourquoi es-tu ici ?

– Je ne sais pas.

– Si ! Si, tu le sais ! Tu n'es qu'une petite fouineuse, une gamine qui ne peux pas résister à sa fichue curiosité ! »

Pour de simples dessins, sa rage était disproportionnée. Mon cœur battait à tout rompre ; pour la première fois, je craignais réellement pour ma vie. A l'Institut, lorsque les hommes m'avaient tiré dessus, tout s'était passé trop vite et je n'avais pas eu conscience du risque. Et dans cette fameuse cage d'escalier, je n'avais été qu'à moitié consciente des évènements. Alors qu'avec Kaleb à présent, je ne savais pas jusqu'où sa frénésie pouvait aller et je m'étais exposée à ce risque.

L'Institut FitzgeraldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant