22) Soukoku - @imnot_akane

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Chûya se trouvait dans la cuisine, ses longs cheveux roux relevés en un chignon tenu par un stylo. Dans le salon de son petit appartement se trouvaient cinq autres personnes. La raison de leur rassemblement était Fyodor, un collègue à lui. Il lui avait parlé d'une fête d'origine chrétienne qu'on fêtait généralement en famille. Mais le pauvre n'avait plus de contact avec sa famille depuis son arrivée au Japon. Il lui avait donc proposé d'organiser cela chez lui et d'inviter leurs proches. Alors Fyodor avait proposé d'inviter son petit-ami, Nikolaï, dont Chûya entendait énormément parler. Ils avaient aussi invité Dazai, le "presque copain" de Chûya (d'après son ami et collègue), ainsi qu'Atsushi et Akutagawa. Ces deux-là étaient aussi des collègues de Chûya et Fyodor. Tous les quatre travaillaient dans la bibliothèque de la ville.
Dazai avait proposé à Chûya de l'aider à décorer son appartement pour les fêtes. Ce que Chûya avait accepté. Alors Dazai lui avait aussi expliqué en quoi consistait cette période de l'année.
Il lui avait expliqué que c'était une fête que les chrétiens fêtaient en fin d'année, les 24 et 25 décembre au soir, durant lesquelles ils décoraient leurs maisons. Il lui avait même expliqué les origines de ces fêtes et toute l'histoire du christianisme... Heureusement, ce sujet avait beaucoup intéressé Chûya. Il l'avait écouté pendant toute une après-midi, puis ils avaient ensemble décoré l'appartement de Chûya. Alors une douce odeur de pin embaumait le salon, un sapin avait été décoré de boules et de guirlandes, certaines étaient même lumineuses et étaient suspendues aux murs. Une délicate ambiance festive était présente, et les invités discutaient joyeusement dans la pièce adjacente.
Dazai allumait quelques bougies qu'il installait sur la table tout en discutant avec Fyodor. Chûya n'entendait pas ce qu'ils se racontaient de la cuisine mais il les observait. Il allait s'approcher de la porte afin de leur apporter de quoi boire, quand Akutagawa et Atsushi entrèrent en trombes dans la pièce.
— Chûya, s'exprima Atsushi. Je viens d'apprendre une terrible nouvelle!
— Que se passe-t-il, demanda l'intéressé en reposant un plateau.
Akutagawa observa le contenu du plateau avant d'attraper deux tasses de thés différents. Il tendit la tasse de thé vert à Atsushi, et porta celle de thé noir à ses lèvres d'un air grave. Chûya attrapa un verre à pieds et une bouteille de vin rouge, prêt à les écouter.
— Je viens d'apprendre que Dazai et toi veniez de rompre.
Quoi ?
— On vient de rompre ?
— Atsushi a demandé à Dazai si votre cohabitation se passait bien, commença Akutagawa. Et Dazai nous a dit que vous ne viviez pas vraiment ensemble, alors j'ai demandé pourquoi puisque vous étiez en couple.
— Et il nous a dit que vous êtes pas ensemble, continua Atsushi. Il s'est passé quelque chose, demanda-t-il d'un air inquiet.
Chûya plissa les yeux et sembla réfléchir un instant tandis qu'il se posa contre le meuble le plus proche de lui.
— Dazai et moi n'avons jamais été ensemble, les garçons, annonça-t-il.
Il y eut un moment de blanc. Atsushi semblait peiné.
— Tu sais tu peux nous le dire hein...
— Et si tu veux pas parler de votre rupture c'est ok, reprit Akutagawa.
Chûya soupira avant de reposer son verre et de leur offrir un sourire amusé.
— Ecoutez, je sais que Dazai et moi sommes... proches, je suppose ? Même s'il passe son temps à m'énerver à squatter mon appartement, qu'il a un humour douteux, qu'il se croit supérieur, qu'il est tellement égoïste, qu'il aime tout ce que je déteste et qu'il déteste tout ce que j'aime...
Il regarda ses interlocuteurs avant de reprendre.
— Il fait aussi des choses bien ! Il me fait sourire, il m'offre des trucs, il est doux et attentionné, il me fait des massages du tonnerre... Enfin... On est proches je suppose. Mais on ne sort pas ensemble, dit Chûya en baissant les yeux vers ses pieds.
Akutagawa et Atsushi ne semblaient pas le croire, ou plutôt ils pensaient que Chûya ne leur disait pas tout. Et ils avaient raison, Chûya avait omis un détail, Dazai et lui couchaient ensemble. Parfois seulement. Enfin, tout dépendait de ce que vous appeliez "parfois". Mais il se rassurait en se disant comme ça qu'ils n'étaient pas si proches, et que si Dazai comptait partir, il pouvait le faire sans qu'il n'y ait d'impact.
Évidemment Chûya avait tort. Et il le savait, au fond. Il s'était attaché à cette momie. Mais le déni est la première phase d'une relation.
— Donc vous êtes pas ensemble, demanda Atsushi.
— Non.
— Et vous ressentez rien du tout l'un pour l'autre ?
— ... Non ?
— T'as pas l'air très sûr, dit Akutagawa d'un ton entendu. Tu es tombé amoureux de lui, je me trompe ?
— Bon, écoutez. Là on fête Noël. On parlera de vos fantasmes gays plus tard, d'accord ?
Akutagawa émit un petit rire et se dirigea vers le salon avec son thé à la main. Son petit-ami le suivit, puis Chûya avec les boissons de tout le monde sur un plateau.
Il déposa un thé au jasmin devant Fyodor, un café à Dazai et enfin... Une boisson étrange dont il ne connaissait pas le nom devant Nikolaï. C'était une sorte de grand verre dans lequel il y avait des perles de couleurs pastels, des paillettes dans les mêmes teintes et le liquide était bleu. Elle ne semblait pas très bonne pour la santé, il ne savais pas si son invité survivrait à cela...
Chûya s'assit à côté de Dazai, tandis que "le yin yang", comme aimait les appeler Chûya, retournait à leur place. Dazai se tourna vers Chûya discrètement. Chûya ne connaissait pas le sujet de leur conversation, mais il s'efforça d'écouter malgré son regard posé sur lui. Dazai continuait de parler avec Fyodor et Nikolaï.
Chûya prit son verre à la main. Il fit tourner le liquide dans le verre à pied, observait sa couleur, sentait son odeur. Pour être franc, il ne savait pas ce qu'il devait faire. Comment les soirées se passaient dans la famille de Fyodor ? Devait-il mettre de la musique ? Devrait-il adresser une prière aussi ? Ce serait irrespectueux, il n'était pas chrétien.
Il entendit son nom être appelé. Il releva sa tête pour croiser le regard de Fyodor, inquiet. Puis il se rendit compte qu'il s'était plongé dans ses pensées. Il sentit que la main de Dazai était posé délicatement sur sa cuisse. Il tenta de ne pas y faire attention et se concentra sur celui qui l'avait appelé.
— Ça va, demanda Fyodor. Tu t'es perdu dans tes pensées, je crois. Quelque chose te tracasse ?
— Non, tout va bien ! Je suis désolé, je ne sais pas comment on doit faire pour une fête de Noël donc je cherchais ce que je pourrais améliorer.
— Tout est parfait, il y a même quelqu'un pour jouer l'oncle que personne n'aime.
— C'est qui, demanda curieusement Dazai, bien que Fyodor n'y répondit pas.
— J'espère que tu trouves que c'est réussi !
— Même moi je suis étonné que tu aies tout fait comme si tu en avais déjà fait, intervint Nikolaï.
Il n'avait pas encore parlé à quelqu'un d'autre que Fyodor !
— Dazai m'a tout expliqué. Il a passé toute une journée entière à m'expliquer les origines du christianisme et à parler comme un vrai moulin a paroles !
Dazai s'indigna. Les autres rirent, et une douce ambiance reprenait sa place dans sa tête. C'était agréable de retrouver un cocon, et même Fyodor s'y sentait à sa place.
Lorsque Chûya apporta le repas sur la grande table en bois, tous les invités s'assirent autour. Tout semblait être parfait. Ils ressemblaient al une famille de cette manière.
Et c'était ce qui était bien avec eux. Aucun n'avait eu une vie familiale heureuse dans leur enfance. Atsushi avait grandi dans un orphelinat, Akutagawa une famille d'accueil. Fyodor et Nikolaï avaient dû fuir la guerre, Dazai des parents violents et enfin, Chûya avait passé son temps à voyager avec Arthur, son tuteur légal. Il n'avait jamais pu construire son enfance dans un endroit précis, tout ce qu'il acquierait, il le perdait aussitôt. Un foyer et une famille, même de substitution, était tout ce dont chacun avait besoin.
— Et là, je lui ai flanqué la honte de sa vie, raconta Dazai.
— Tu veux rire ! Tu t'es fait mettre à la porte comme un pauvre débutant, répondit Chûya en lui mettant une claque derrière la tête.
— Aïe ! Vous avez vu comment il me traite !? Il est méchant avec moi !
— Tu l'as mérité, je suis persuadé que tu n'as même pas osé contredire ce professeur, retorqua Fyodor en riant.
— Je préférais m'en occuper plus tard...
— Bizarrement après cette histoire de devoir volé tu n'as eu que des bonnes notes dans sa matière cette année.
— Oui Chûya, tu t'en souviens !?
— Tu as volé un devoir, s'étonna Akutagawa qui revenait de la cuisine.
— Allez ça suffit, à table.
Atsushi fit signe à son petit-ami de s'installer à ses côtés. Chûya déposa chaque assiette préalablement remplies devant chaque invité et s'assit. Ils prirent un court instant de silence pour laisser à Fyodor le temps de prononcer une prière et reprirent le cours de leurs discussions.
Akutagawa ne cessait de l'observer. Chûya ne réagissait pas vraiment, mais il ne pouvait s'empêcher de se poser des questions. Pourquoi est-ce que Dazai et lui avaient l'air de sortir ensemble ? Il en connaissait tout un tas, de gens qui étaient proches sans pour autant s'aimer. Dazai et lui n'avaient pas besoin de ça. Ils aimaient leur relation actuelle. Chûya était sûr qu'il trouvait un certain confort à cette relation. Ils ne sortaient pas ensemble, mais ils s'aimaient. Ils couchaient ensemble, mais ce n'était pas toujours inclusif.
Ou du moins, au début. Maintenant, Chûya aurait dû mal à toucher quelqu'un d'autre. Et il ne voulait pas savoir ce qu'il en était de Dazai.
Était-ce ça ? Est-ce que ça voulait dire que Chûya voulait sortir avec Dazai ? Non. Ils ne s'entendaient pas qu'au lit.
Enfin, ce n'était pas correcte. Même au lit, ils ne s'entendaient pas, était plus approprié. Ils se battaient presque pour définir une position (pour qu'au final, Dazai surplombe complètement Chûya, et ce dernier se vengeait dès que Dazai se méfiait moins pour imposer sa propre domination), et Chûya lui hurlait toujours dessus. En fin de compte c'était assez étrange. En général les gens sont différents lorsqu'ils couchent ensemble, non ?
Sans s'en apercevoir il se remémorait leurs dernières nuits passées ensemble, afin de trouver une réponse. Voulait-il sortir avec Dazai ou voulait-il rester dans cette relation ?
— Chûya, tu sais que ce n'est pas le moment de penser à ça, murmura Dazai au creux de son oreille.
Chûya revint à lui et lui jeta un regard confus. Comment pouvait-il savoir à quoi il pensait?
— Tu as toujours les mêmes expressions faciales lorsque tu penses à quelque chose de particulier. Et quand tu penses à nous tu as les sourcils froncés, la tête baissée et tu mords tes ongles. Oh et tu croises les jambes.
— Quand est-ce que tu as eu le temps d'observer tout ça... ?
— En sept ans j'ai appris énormément de choses te concernant.
— Chûya, l'appela Atsushi à l'autre bout de la table.
— Oui, répondit-il en reprenant une position convenable et une expression neutre.
— Est ce que ça se passe bien depuis ton déménagement?
— Oui, pourquoi ?
— J'avais peur que tu te sentes seul dans ce nouvel appartement...
— Je lui rends visite tous les jours, dit Dazai.
— À lui ou à son lit, demanda Nikolaï, soudainement intéressé.
— Aux deux si tu tiens à tout savoir !
Dazai sourit fièrement.
— Tu sais, Chûya n'en a pas l'air mais il n'est pas souvent seul, il est très actif sex-
— T'es vraiment un enfant j'ai l'impression de parler avec un adolescent de quinze ans qui découvre la sexualité, s'exclama Chûya en mettant une serviette dans sa bouche. Ferme ta gueule !
— Tu vas l'étouffer, dit Akutagawa d'un air blasé.
— Ce sera bien fait pour lui.

L'heure d'ouvrir ses cadeaux était arrivée. Chacun ouvrait ses cadeaux avec joie. Chûya les avait ouverts en premier et avait été étonné, avec ironie, de recevoir une bouteille de vin rouge, une carafe à décanter et un jeu de poker (il ne savait pas pourquoi...). Dazai les avait ouverts à sa suite et avait reçu des livres, une carte cadeau d'une boutique de vêtements, parce que d'après Akutagawa il ne savait pas s'habiller, un pendule et un kazoo...
Heureusement, Chûya le lui avait confisqué avant de perdre ses oreilles.
Alors pendant qu'Atsushi découvrait avec joie ses cadeaux, Dazai attrapa le poignet de son ami et l'attira un peu à l'abris, dans un petit couloir qui menait à la chambre et la salle de bain.
— Dazai. Que me veux-tu, demanda Chûya. Et avant que tu commences, non je ne coucherai pas avec toi maintenant.
— Je n'allais pas te demander ça, peut-être plus tard. Mais ça ne me dérangerait pas de le faire maintenant.
— Non !
— Je sais !
— Qu'est ce que tu me veux ?
— Je voulais te parler, dit l'homme aux bandages, sérieusement.
— Eh bien je t'écoute.
— Euh... Je suis pas doué pour... Ça... Mais je vais essayer. Pour une fois, je vais être honnête, je ne te mentirai pas.
Il prit un court instant la pose et inspira pour se donner du courage, puis reprit.
— Tu sais, ça fait aujourd'hui sept ans, trois mois et dix-neuf jours qu'on se connait. Et... malgré ton caractère colérique, ton manque d'humour et tes cheveux roux insupportables, je sais que tu m'as affecté. Tu es... Très important pour moi. Je t'aime. Je t'aime vraiment, je veux dire, de manière romantique, tu sais ? Comme... Je sais pas comme quoi, j'ai pas eu d'exemples quand j'étais enfant. Enfin. Ce que je veux dire c'est que je veux sortir avec toi. Je veux te tenir dans mes bras sans te sentir te poser un nombre incalculable de questions, je veux aller dans la rue et te tenir la main, je veux t'embrasser devant le monde entier, je veux te tenir par la taille en boîte, je veux venir te chercher au travail et t'apporter une rose rouge dès que j'en verrai une. Chûya, je t'aime.
Dazai s'était arrêté de parler. Chûya sentait son cœur sauter dans tous ses membres tel un enfant. Il sentait chaque muscle se réchauffer et ses joues devenir roses. Personne ne lui avait dit qu'il l'aimait de cette manière. C'était beau. C'était agréable. Chûya voulait l'entendre à nouveau.
— Est-ce que je peux t'embrasser, s'il te plaît, demanda Dazai qui avait évidemment compris le manque de réponse de Chûya.
— Oui !
Il pressa ses lèvres contre celles du plus grand. Il sentait son corps exploser de joie. Il était si heureux qu'il voulait crier, sauter et courir partout.
— Dazai c'est magnifique ce que tu m'as dit !
— Tu veux savoir ce qui est magnifique aussi ?
— Dis-moi ?
— Il y a une tradition chrétienne, durant Noël dont je ne t'ai rien dit. Les couples se placent sous une branche de houx, et s'ils s'embrassent, c'est supposé porter chance.
Chûya leva les yeux pour trouver une décoration avec deux petites veuilles vertes pointues et sourit.
— Je suppose qu'on a de la chance.
— Pas du tout, tout était prévu et je ne crois pas à la chance ou la malchance.
— Ça aurait été étonnant venant de quelqu'un d'aussi scientifique que toi, sourit Chûya.
— Tu me reconnais bien.
Ils s'offrirent un dernier baiser délicat sous ces feuilles vertes, puis se regardèrent. Peut-être que finalement, sortir avec Dazai ne serait pas si mal.
Mais la soirée n'était pas terminée. Ils se séparèrent l'un de l'autre et retrouvèrent le salon avec tous leurs invités.
Ce fut une soirée mémorable, où personne ne pleurait, et chaque âme qui remplissait cet appartement était teintée de joie.

Calendrier de Noël 2023Où les histoires vivent. Découvrez maintenant