La pluie fait un raffut de tous les diables sur l'escalier métallique qui s'appuie douloureusement contre la façade de l'immeuble. Dessous, une étrange forme aux grands yeux humides et à la tignasse hirsute, serre fort ses genoux contre son torse avec ses petits bras. Billie rentre la tête dans les épaules et se replie sur elle-même autant qu'elle le peut. C'est la façon la plus efficace pour garder la chaleur malgré la pluie. Elle l'appelle « faire la boule ». Quand maman est occupée à l'intérieur pour son travail et que Billie doit attendre dehors, elle a pour consigne de rester sous l'escalier sans faire de bruit. Alors quand le temps n'est pas clément, la petite fille se protège des éléments comme elle le peut. Quand elle était plus petite, il est arrivé qu'elle suive un inconnu qui passe, attirée par un détail, un sourire, ou qu'elle décide simplement d'aller marcher et se perde. Alors, après avoir été plusieurs fois ramenée à sa maman par des commerçants du coin ou pire encore, un agent de police, sa mère avait pris des mesures drastiques.
Tout d'abord elle avait cogné Billie si fort que la gosse n'avait pas pu fréquenter l'école pendant plus d'une semaine, le temps que sa peau retrouve une couleur normale. Ensuite, sa mère avait investi dans une lourde chaîne et un cadenas qu'elle avait accroché à la cheville de la môme. Au fil des mois, puis des années, c'était devenu tellement naturel pour l'enfant que quand sa maman lui disait qu'elle devait travailler, c'était elle-même qui allait s'asseoir sous l'escalier et refermait le cadenas qui la maintenait prisonnière.
Le froid, et la pluie, elle avait appris à s'en accommoder, mais la faim, non. Alors que la gosse grandissait, sa mère ne semblait pas vraiment le réaliser, ou alors elle s'en fichait. Billie recevait un pot de nourriture pour bébé à midi et un bol de soupe le soir, parfois coupée avec de l'eau. Si, quand elle était petite, ça lui suffisait, en grandissant son estomac criait famine plus souvent qu'à son tour. Elle chapardait parfois un goûter à l'école mais elle avait bien trop peur de se faire prendre pour le faire souvent.
Elle avait finit par découvrir une façon de se nourrir sans risquer d'ennuis : les poubelles. Elles étaient stockées sous l'escalier voisin, alors, petit à petit Billie s'est mise à ruser. Elle fermait le cadenas un jour sur deux, guettant si sa mère s'en rendait compte. Il lui suffisait de revenir à sa place assez vite et resserrer les mains autour de l'anneau métallique pour le fermer avant que l'adulte n'aie le temps de le voir quand elle venait la récupérer pour la nuit. La petite se contentait des poubelles les plus proches, elle prenait ses précautions pour qu'on ne la surprenne pas. Elle avait toujours un vieux mouchoir à la main. Aussi, si un voisin la surprenait, elle faisait mine de jeter celui-ci avant de s'éloigner. Grace à ce nouveau stratagème, le ventre de Billie hurlait moins souvent famine. Mais ses yeux la trahissaient quand elle sentait la bonne odeur de cuisine qui filtrait parfois des fenêtres voisines d'autant que sa petite astuce n'était pas vouée à durer.
Ce soir encore, les poubelles avaient été arrosées de détergeant, cela se faisait de plus en plus souvent, pour éloigner les nuisibles soi-disant. Les premières fois elle avait quand même mangé ce qu'elle avait trouvé malgré l'odeur, mais ça l'avait rendue tellement malade qu'elle n'osait plus s'y risquer. Alors, repliée sur elle-même, Billie écoutait les grognements furieux de son estomac qui finirent par la bercer. La faim et le froid finirent par la prendre, à leur tour, dans leurs bras et la bercer tendrement. Billie, sourire aux lèvres se laissa aller, sereine. C'est pour cela qu'elle n'avait pas entendu sa mère s'approcher pour ouvrir le cadenas, transie par le froid et la faim, elle avait les lèvres bleues quand, secouée par sa génitrice, sa tête roula sur le côté.
-Bordel rentre Billie, va pas crever sur le trottoir tu veux m'attirer des emmerdes c'est ça ?
La gamine aurait bien voulu répondre, ou se lever, mais tout son corps était engourdi. Un éclair de panique traversa le regard calculateur de sa mère qui, après avoir pesé le pour et le contre des ennuis à venir si la môme claquait de froid sur le trottoir, décida qu'elle ne la ferait plus sortir quand elle avait ce qu'elle appelait « de la visite ».
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Les Enfants de la Faucheuse : Tome 3
ActionToujours plus de bruits de moteur, de caractère et de trahisons dans ce nouvel opus. Une autre femme, un autre destin, mais toujours ce même cuir et la rage au ventre. Billie grandit dans un terreau de haine dont elle essaie tant bien que mal de s'e...