Les Enfants de la Faucheuse : Tome 3

Chapitre 7 : Trompeuses apparences

La bâtisse devant laquelle les deux jeunes gens s'arrêtent n'a rien d'exceptionnel, en réalité c'est un large bâtiment de briques rouges qui date sans doute de la seconde révolution industrielle. Cependant les vitres ne sont pas brisées, la porte semble solide sur ses gonds et les rideaux aux fenêtres laissent filtrer de douces lueurs indiquant que l'endroit bénéficie de l'électricité.

Royce s'arrête à quelques mètres de la porte qu'il indique dans un mouvement théâtral, s'inclinant comme un majordome des temps anciens sur un victorieux : « Tadam » qui tire un sourire à Billie.

-Voilà notre château, princesse. C'est pas le Ritz mais on a l'électricité, le chauffage et de quoi manger.

-Je vois...c'est gentil je... je passerai te dire bonjour à l'occasion.

-Billie, si t'as besoin d'un endroit sûr, vraiment, viens avec nous.

-Non, ça me gêne.

-Qu'est-ce qui te gêne ?

-Ben, tout ça, ça coûte du fric et j'en ai pas.

-Tu crois vraiment qu'on paie un loyer et tout ce bordel ?

L'adolescent croise les bras devant lui et se met à rire.

-Ben nan, bien sûr que non, Billie ! On rend de petits services au proprio.

-Quels genre de service vous pouvez bien lui rendre pour qu'il vous laisse son immeuble ?

-Déjà on empêche que des bandes viennent squatter, ensuite chacun fait ce qu'il peut. Y'en a qui refont la peinture, d'autres s'occupent de la plomberie, les plus petits font le ménage. Je te dis pas qu'on va pas de temps en temps faire la manche pour ramener quelques pièces mais le mec est pas chiant et il trouve toujours des petits boulots pour nous.

-Qu'est ce qui te dit que ce type voudrait de moi ? Il me connaît pas.

-Moi je te connais...

-Depuis dix minutes !

-Même ! Il me fait confiance, j'ai un don pour sentir les gens bien, et toi t'es une fille bien Billie. Tu vas voir il va t'adorer, crois-moi.

La jeune fille lève les yeux au ciel avec un petit sourire gêné. Elle triture un long moment les manches de son sweat en promenant son regard tout autour d'eux. La proposition lui semble trop belle, et l'attitude enjouée de Royce est...justement un petit peu trop enjouée. Mais un petit détail dans la rue d'en face vient de changer la donne. Un homme à la démarche lente apparaît dans le champ de vision de Billie, l'homme à la casquette. Alors que leurs regards se croisent, la gamine sent les poils de ses bras se hérisser sous son pull, l'homme n'est pas seul, dans la ruelle attenante il y a un petit groupe d'individus débraillés, ceux qu'elle a croisés les jours précédents et qu'elle a soigneusement évités. Elle avale sa salive, saisit la main de Royce et lance résolument :

-Ok ça marche, j'en suis.

-Cool, tu le regretteras pas.

Le grand gaillard resserre délicatement ses doigts sur la main de la jeune fille et l'attire à l'intérieur. Dans la rue, l'homme à la casquette presse le pas pour les rattraper mais se fait interpeller par deux costauds qui trainaient devant la superette du quartier. Lui et sa petite bande doivent reculer à moins de vouloir en découdre, alors, l'air dépité, l'homme reprend ses distances sans toutefois relâcher le bâtiment des yeux, les autres sans abris s'éparpillent rapidement dans les rues avoisinantes.

Une fois la porte d'entrée refermée, Billie se détend. La chaleur des lieux, les bruits de conversations qu'elle entend filtrer de part et d'autre de la bâtisse la rassurent. Royce ne l'a pas lâchée, le jeune homme l'entraîne à sa suite dans un dédale de couloirs et d'escaliers, saluant ici et là un gamin des rues aux cheveux hirsutes, un autre jeune à l'air à peine réveillé et une adolescente souriante, bien trop maquillée au goût de Billie qui se sermonne intérieurement sur son manque de tolérance.