Chapitre 4

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        L'eau fraîche m'éclaboussa le visage. Je me frottai les yeux, encore vaseuse. La nuit avait été courte et n'avait porté aucun conseil. Une libellule avait décidé qu'elle partirait en expédition seule et le reste du troupeau avait suivi. Le syllvhe de maman les avait empêchées de s'évader, aggravant leur agitation. Les Gardiens avaient mis des heures à les calmer, dans un merveilleux concert de bourdonnements et de cris.

La salle de bain comprenait un bassin circulaire, une commode, un tabouret et un bol en terre cuite. J'avais peint les meubles en bleu ciel, pour les accorder au reste du décor. L'océan avait submergé la pièce, emportant avec lui animaux marins, coraux et trésors perdus. À l'arrière-plan, une silhouette se dessinait : Mosphal la tortue géante, le fléau des mers, la mangeuse d'homme.

D'après la légende, Mosphal, originellement une île, avait été transformée en tortue par Origon, comme punition pour avoir désiré quitter l'océan. On racontait qu'en guise de revanche, Mosphal détruisait les bateaux qu'elle croisait.

J'aimais sa légende et la morale qui en découlait : « Il ne faut jamais cesser d'espérer, mais prendre garde aux conséquences de nos souhaits et rester fidèle à sa divinité ». Au Sanctuaire, tous les Sêptenrion étaient vénérés, des dix-sept divinités majeures aux innombrables dieux mineurs. Apprendre le nom et l'histoire de chaque immortel avait été fastidieux.

Je soupirai, appuyée sur ma vasque en terre cuite. Je ne soutirerai aucune information de ma mère, mais j'avais un intrus à débusquer et un rendez-vous de la plus haute importance. J'effleurai du bout des doigts la paroi peinte, communiquant mes intentions à l'arbre géant. Hier, en échappant à Mystère, j'avais demandé au Sanctuaire... d'enregistrer ? de mémoriser ? la signature magique de l'intrus. Je ne savais pas exactement pourquoi l'arbre m'obéissait, ni s'il avait réellement une conscience ou fonctionnait comme une sorte de diffracteur géant, ce bijou technologique qui analysait et enregistrait l'environnement presque instantanément. La sensation était étrange, j'avais l'impression d'être simultanément dans chaque pièce, sur chaque branche, sous chaque feuille du Sanctuaire. Le monde avait tourné au gris. Les particules habituellement si lumineuses s'étaient ternies, figées dans un lent ballet aérien. Instinctivement, je savais que Mystère aurait brillé comme une luciole lors d'une nuit d'encre. Je le savais, aussi sûrement que l'intrus avait disparu.

Je brisai le contact avec l'arbre, les sourcils froncés. Si Mystère avait trompé ma mère deux fois, je n'imaginais même pas ce qu'il aurait pu faire aux habitants du Sanctuaire. Quelle idiote. J'avais perdu face à lui. Et j'avais eu l'arrogance de penser pouvoir régler le problème plus tard, seule de surcroît. L'intrus avait quitté le Sanctuaire et je n'osai même pas tenter d'expliquer la situation à maman. En tout cas, il ne passerait plus inaperçu. S'il arrivait à masquer sa présence, il ne pourrait pas effacer sa signature. Tous les êtres vivants dégageaient des ondes uniques et marquaient leur environnement comme on laisse des traces de pas dans le sable.

Je soulevai le morceau de feuille qui servait de porte et pénétrai dans ma salle d'étude. Une représentation de désert dominait la pièce, les dunes s'étendaient jusqu'à un large rocher, où une salamandre se réfugiait de l'astre rougeoyant. Le désert d'Arion s'étendait sur près d'un tiers d'Érythros, terre des humains. C'était l'un des plus beaux paysages du continent, d'après les illustrations que j'avais dénichées.

Des étagères garnies se confondaient avec le sable doré et le bleu lumineux du ciel. Seul mon bureau sombre tranchait avec le panorama. Trois livres trônaient sur le bois brun, récent ajout à ma bibliothèque personnelle. J'avais terminé l'Analyse des légendes et le premier volume des Lois physiques et magiques, il me restait encore le deuxième tome et je ne possédais pas le troisième. , mon écrivaine préférée, avait mis sa plume au service de nombreux domaines et fournissait des écrits intéressants ; elle était allée jusqu'à voyager aux quatre coins de Ceilon pour rédiger une dizaine d'ouvrages décrivant les différentes coutumes des quatre continents peuplés. Le Sanctuaire en possédait quelques-uns.

Sêptenrion : L'enfant Des DieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant