Interlude n°2 - partie 1 : La Valse des Fleurs

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An 120 000 de l'ère des anciens 


- Tu devrais observer les mortels plus souvent, conseilla Nox, la déesse de la Nuit. C'est assez divertissant.

Elle possédait de nombreuses vasques, miroirs permettant d'épier Ceilon, la planète bleue. Elle en indiqua une à Scéphale, la déesse de la Guerre.

- Je préfère encore dormir, bâilla celle-ci en s'étirant.

Scéphale était étendue sur une nuée de particules. Elle dérivait d'un bout à l'autre de la nébuleuse de Nox, contemplant les arabesques sophistiquées que formaient l'or et l'argent du nuage cosmique. De temps à autre, elle heurtait une vasque, renversant son contenu.

Agacée, Nox dispersa la couche de fortune et la nuée de particules s'évapora.

- Tu comptes rester vautrée au milieu de ma nébuleuse pour les deux milles prochaines années ? interrogea-t-elle, haussant un sourcil.

- Bien sûr que non ! maugréa Scéphale. Je dois prouver à Meianne que je peux me passer d'elle et trouver seule de quoi me divertir.

Scéphale était une immortelle, une déesse, l'incarnation de la Guerre. Brutale et sans pitié, telle était sa nature. Elle n'avait jamais perdu une bataille et voilà que Meianne, l'incarnation de la Paix, l'avait jetée dehors après une dispute particulièrement houleuse. Scéphale avait bien tenté de la raisonner, mais la décision de son amante était sans appel : si elle osait poser un pied dans sa nébuleuse avant les deux mille prochaines années, elle briserait la balance de l'univers et les mortels ne trouveraient jamais la sérénité. Les voir s'engager dans d'interminables guerres n'effrayait pas Scéphale, la perspective était même plutôt alléchante ; en revanche, elle était terrifiée par le courroux qu'une telle situation provoquerait chez les dieux primaires. Elle grimaçait rien qu'en imaginant la punition qu'ils lui infligeraient si elle les impliquait dans une querelle amoureuse. Alors elle avait accepté les conditions de Meianne : ne pas empiéter sur son territoire, ne pas l'approcher à moins d'une année-lumière, éviter de mentionner ne fût-ce que son nom si elle ne voulait pas être foudroyée par une supernova... Elle n'avait même pas le droit de s'amuser sur le terrain de tir d'astéroïdes lorsque la Paix y était ! Scéphale ne tenterait pas de braver l'interdit. Par contre, elle se ferait un plaisir de projeter le visage de Meianne sur les planètes cibles en s'entraînant. Ça, au moins, ça la défoulerait.

Ah ! la liste des interdictions était longue...

Scéphale avait une vision dichotomique du monde. Pour elle, tout se rapportait à la guerre. Elle gagnait ou elle perdait. Ainsi l'idée même de la défaite l'humiliait-elle plus que le rejet de son amante. Meianne la Paix ne lui avait jamais défendu d'entretenir une liaison. Et pour cause : elle n'aurait à aucun moment pensé que Scéphale pût aller voir ailleurs. Eh bien ! c'est ce qu'on va voir ! avait pensé Scéphale. En deux mille ans, elle trouverait bien un mortel ou deux avec lesquels s'amuser. Et peut-être Meianne serait-elle tentée d'écourter sa punition...

Les immortels n'étaient qu'énergie et n'avaient pas de formes tangibles, mais ils aimaient se métamorphoser et choisissaient généralement une apparence proche de celle des mortels qu'ils appréciaient. La Guerre affectionnait les dragons, des sortes de lézards ailés qui avaient existé dans cet univers. Les dragons avaient développé une méthode afin de revêtir à leur gré une apparence bipède, et elle devait avouer qu'avoir des mains avait son utilité. C'était aussi une caractéristique récurrente chez les espèces dotées d'une intelligence développée. Au grand dam de Scéphale, la civilisation des dragons avait disparu juste avant sa naissance, oblitérée par des immortels qui s'ennuyaient. Ils avaient insufflé la vie à bien des univers, des étoiles, des planètes et des créatures. Lorsqu'une de leurs créations cessait de leur plaire, ils mettaient simplement fin à son existence. Leur dernière création encore en vogue était Ceilon, la planète bleue, foyer de diverses espèces décemment divertissantes.

Sêptenrion : L'enfant Des DieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant