Chapitre 1

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An 1 320 de la nouvelle ère, Sanctuaire

            Une étincelle. Une lueur fébrile, qui jaillit, scintille, et faillit en un millième de seconde. Éphémère. Un crissement, un écho dans le métal, une onde de choc qui remonte le long des bras, les os qui gémissent, le sang qui pulse pour gonfler les muscles, le souffle qui accélère, la sueur qui perle sur le front, les cheveux qui collent au visage, les yeux brillants d'excitation et de satisfaction. Fascinant, c'était le mot qui me venait. Puis il y avait la magie et ses particules colorées, qui vibraient au rythme des coups. Les courants pulsaient dans les veines comme du sang. Purs, lumineux, flamboyants. Les particules semblaient chanter, elles murmuraient une mélodie que moi seule pouvait entendre, elles éclairaient la vie de couleur que moi seule pouvait voir. Je baissais les yeux sur mes propres mains. Ternes. Hideuse. Les particules imprégnaient tous les êtres vivants, même les plus abjectes. Tous, sauf moi. Oh Hilia, pourquoi m'avoir fait cadeau du précieux don de voir la magie ? Pourquoi me maudire et m'empêcher d'effleurer cette énergie fabuleuse ?

Je chassai mes pensées d'un revers de main et reportai mon attention sur le spectacle en contrebas. Blottie dans un renfoncement du tronc, je ne pouvais détacher le regard du combat. Deux elfes s'affrontaient sur la plus grande corniche du Sanctuaire, l'arbre géant. Aussi haut que deux-cents hommes et aussi large qu'une cinquantaine d'hommes, le Sanctuaire était recouvert d'une écorce sombre, craquelée, qui offrait des points d'observation confortables. Une voûte bleue s'étendait au-dessus de l'arbre jusqu'à l'horizon, séparée du sol marécageux par une brume dense.

Le tintement des lames résonna à nouveau dans l'air pur. Je fixai mon regard sur les duellistes, les yeux écarquillés. Si je les ouvrais suffisamment grands, le temps finirait il par ralentir ? Je ricanai. Non, bien sûr que non. J'observai attentivement les lames s'entrecroiser, glisser, tournoyer dans une danse mortelle. La rapière vibra, ployant sous le poids du cimeterre. À chaque coup, la fine lame gémissait, se tordait, tenait bon. Le sabre, pourtant léger, était un opposant difficile pour la rapière. Les lames avaient beau s'entrechoquer, se dévier, puis repartir de plus belle, aucun coup d'estoc n'atteignait sa cible. La danse mortelle s'éternisait depuis plusieurs minutes maintenant, épuisant les deux combattantes. Une feinte de la rapière effleura l'avant-bras droit de la première duelliste, changeant au dernier moment de trajectoire pour s'attaquer à l'épaule. Le cimeterre repoussa prestement la lame aiguisée et riposta, s'attaquant au visage de l'adversaire. La jeune femme qui maniait la rapière se laissa tomber au sol. Ses cheveux verts feuillage s'envolèrent, libérés de leur attache de cuir, l'aveuglant un instant. La demi-seconde perdue fut suffisante pour que la botte de son adversaire lui percute la mâchoire. L'elfe s'envola. Lorsqu'elle redressa son buste, la lame du cimeterre brillait, pointée sur sa gorge.

— J'ai gagné, sourit l'elfe au cimeterre.

La fatigue rendait ses yeux luisants et la sueur collait ses mèches feuillage sur son front pâle – une couleur courante chez le peuple des forêts. J'aurais aimé que mes cheveux arborent la même teinte, le noir corbeau faisait ressortir ma peau affreusement pâle et me donnait un air malade. Myr, l'elfe victorieuse, dégageait quelque chose d'inexplicable, de mystique, qui me fascinait. Elle m'avait immédiatement attirée, son sourire et sa lumière, la plus pure que je n'ai jamais vu, m'avaient subjuguée. Je pouvais l'observer des heures durant, Myr était ma personne favorite après maman. J'avais appris à la connaitre mais, elle, ne me verrait jamais. La tristesse me serra le cœur, puis s'effaça tout aussi vite. J'étais habituée, j'avais vécu toute ma vie ainsi.

— Je t'ai laissée gagner, c'est différent, grommela la deuxième duelliste en écartant le cimeterre.

— Oh, grande déesse Elna ! Accordez-vous cette victoire à votre humble servante ? Proclama ironiquement sa sœur en joignant les mains.

Sêptenrion : L'enfant Des DieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant