Quelle ironie, me voilà, assise devant mon bureau. J'ai bien du passer trente minutes devant cette feuille blanche, le sol est parsemé de feuilles roulées en boules et jetées négligemment. Je n'ai même pas pris la peine d'ouvrir les volets, seul ma petite lampe de chevet éclaire ma chambre, cette même lumière qui me brule les yeux, des yeux douloureux, douloureux d'avoir trop pleuré. L'air de ma chambre est frais pour ne pas dire froid et pourtant j'étouffe, j'ai l'impression que ma cage thoracique s'est compressée et ne veut plus se relâcher. Mes mains sont moites, tenir un stylo relève de l'exploit du à ma sudation excessive. Mes yeux ne voient plus très net, je crois bien que j'ai plus pleuré en deux jours qu'en une vie entière. Mes iris sont à présent secs, douloureusement secs, pourtant je ressens encore cette envie de pleurer, pleurer pour me vider de ses journées, pour laisser s'échapper la douleur de mon corps, de ma tête. Pourtant rien n'y fait, c'est comme si toute l'eau de mon corps s'était mobilisée durant ces deux jours et était maintenant en rupture de stock. Cette journée est longue, ressasser les souvenirs vécus avec Nono était une mauvaise idée c'est beaucoup trop tôt. Mais tout me reviens comme un kaléidoscope, tout revient en flash intermittent, et quand par malheur je m'assoupis, je suis assaillie de mauvais rêves ou les yeux de Nono me transpercent comme s'il sondait mon âme, je le vois, près de moi mais en même temps si loin, je l'entends m'appeler. Je suis la Nono, près de toi, j'essaie de lui dire, mais aucun son ne sort de ma bouche. Il finit par s'éloigner en criant mon nom alors que je m'époumone, je m'étouffe tentant de le rattraper en hurlant son nom, mais rien ne sort. Je finis en général par me réveiller en sueur, le regard hagard, étouffée par la petitesse et l'inconfort de ma chambre. J'en regrette même mes nuits à l'hôpital, recroquevillée sur une chaise ou bien roulée en boule dans un lit de camp, bercée par les légers ronflements de Nono et par les bip de la machine.
Deux jours sont passés, et pourtant je sens encore cette odeur d'hôpital, je sens encore les doigts de la mère de Nono enlacés aux miens. J'entends encore les paroles des infirmières qui tentent de me faire réagir. J'entends mais je n'écoute pas, je vois des silhouettes, tout est si rapide, des gens entrent et sortent de la chambre. Et moi je suis la, à serrer la main de Patricia, les ballons d'hélium ont quitté ma main pour buter contre le plafond. Je vois ces ballons tentant de s'élever pour s'échapper, oh comme j'aurais voulu être un de ces ballons et m'envoler loin de tout ça, m'élever des milliers de kilomètres au dessus du sol et tout oublier. Je revois cette scène encore et encore, sous tout les angles possibles et imaginables. Je revois cette lumière aveuglante, le crépitement des palettes de réanimation, le corps fébrile de Nono qui se soulève sous les volts qui tentent de lui redonner vie. Les directives du doc bourdonnent encore dans mes oreilles. Et le bip qui s'allonge dans le temps; oh ce bip, je donnerai tout pour qu'il s'affole de nouveau. J'entends encore la voix du doc heure du décès, 14h34 il avait dit. A ce moment la je crois avoir lâché la main de Patricia. Ce dont je me souviens c'est que je me suis retrouvée sur Nono. Je sens encore cette sensation froide qui m'a traversée, cette raideur cadavérique. Les yeux de Nono étaient encore ouverts et regardaient vers le plafond, sa bouche était ouverte, comme si il avait émis une dernière supplique avant de rendre son dernier souffle. Je me revois secouer sa main, toute couleur avait quitté son corps, laissant place à une pâleur mortelle.
Je frissonne rien que d'y penser, je suis prise de soubresauts à défaut de pleurer, je tremble comme une feuille. Je ferme les yeux et me remémore encore et encore ce moment, comme si le mal que je ressens n'est pas suffisant, je dois me le revisionner encore et encore.
- Emilie, c'est terminé tu dois le lâcher maintenant, m'avait murmuré le doc.
Je le savais, je ne suis pas stupide, si Nono était la, il ne m'aurait pas laissé pleuré, il m'aurait pris la tête entre ses deux petites mains avant de la secouer énergiquement pour me faire recouvrer mes esprits. Patricia se tenait sur le coté et pleurait dans les bras de son mari. Comme elle semblait vulnérable, j'ai vu mille morts passer devant ses yeux, elle qui était d'habitude si belle, elle n'était plus cette femme soignée et au dessus des autres non, elle n'était qu'une mère qui a perdu son enfant. Quant à moi je m'en voulais, je n'avais pas pu lui dire au revoir comme je le voulais, j'avais été stupide. J'avais encore des choses à lui dire, tellement de choses, j'aurai voulu lui faire un au revoir digne de ce nom quelque chose qui aurait marqué les esprits, pour qu'il sache, qu'il sache qu'il était important, unique, exceptionnel. J'aurai du écouter le doc, après tout il avait des années d'expérience, il savait pertinemment ce qu'il disait, mais je ne l'ai pas cru. Qu'est ce que je pensais ? Que Nono serait un miraculé ? Que le cancer l'épargnerait ? Le cancer n'épargne personne, le cancer est malin et se fiche de savoir qu'il attaque un jeune enfant qui avait encore tant à vivre et tant à apporter au monde.

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BROTHER
Fiction générale"Tu m'oublieras jamais hein ?" "Jamais mon petit Nono.." Il avait la sagesse d'un vieillard, elle avait la folie d'un enfant. Il lui apportait le calme, elle lui apportait la vie. Il vivait a travers elle, toutes ses expériences qu'il ne pourra jama...