Chapitre 5

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La colère.
3ème muse :

Ma sœur, trop épouvantée par la vision atroce que lui avait fournie le cadavre d'Hermès, décida de prendre congé. Quant à moi, je suivis la déesse de la jeunesse ainsi que son frère Arès dans la salle des soins. Tout le matériel nécessaire s'y trouvait, tandis que le savoir essentiel était ancré dans l'esprit d'Hébé. Elle avait reçu une formation d'Asclépios et savait donc désinfecter, panser et nettoyer les blessures. La particularité de cette salle était son grand bain, où l'on baignait les dieux jusqu'au cou afin d'apporter des bienfaits à leurs corps. C'est dedans que la jeune fille reposa son frère. Après un râle de douleur, il prit la parole en s'adressant directement à sa sœur :

"Merde Hébé... Dehors les gens meurent.. Je veux dire les dieux, les mortels c'est pas nouveau. Il y a quelques jours en pleine bataille s'est écrasée Héra. Et maintenant c'est Hermès... Je n'arrive pas à chasser ses deux visions de mon esprit. Elles reviennent, sans cesse, et ne me laissent aucun répit. Au-delà des horreurs de la guerre, les défunts immortels m'assiègent plus que les siècles d'atrocités que j'ai vécu. C'est pas normal... c'est pas normal... Je n'arrive plus à faire la part des choses... Qu'est-ce qu'il se passe à la fin, merde ?"

Cette dernière phrase, il l'avait laissé s'échapper dans un sanglot. Le grand dieu guerrier était maintenant en pleurs, rejetant sa fierté et son honneur.

"Je n'arrive pas à oublier leurs visages. Je ne peux même pas espérer qu'ils aient eu une mort paisible, leurs expressions gravées dans ma mémoire affirment tout le contraire."

S'il faisait suffisamment confiance en Hébé pour lui montrer sa faiblesse ainsi, il lui faisait aussi confiance quant aux soins qu'elle lui prodiguait. En écoutant d'une oreille attentive les plaintes de son frère, elle remplit le bain d'alcool. Il protesta suite à la brûlure vive que son contact lui créait, mais n'ayant pas la force de se lever, il fut obligé de l'endurer. La déesse lui assura que ce n'était que pour désinfecter ses plaies. Cela lui suffit pour se rassurer et se laisser faire, malgré ses perles qui se mêlaient à l'alcool.

C'est par la vigilance endormie de la déité des larmes que la jeune parvint à ses fins. Après avoir créé du feu avec deux morceaux de silex, elle plongea le péché de Prométhée dans le bain.

Les muscles endoloris du dieu commencèrent à brûler vivement. Ses plaies dans lesquelles s'était introduit le liquide, s'enflammèrent en leur sein. Ses cris ne parvinrent pas à atteindre les tympans de potentiels sauveurs. Les flots de douleur qu'il déversait ne survenaient pas à empêcher son corps d'être immolé par sa sœur. Dans les gestes de débattements du dieu, l'alcool avait fini par tremper par gouttes le sol, emmenant avec lui le feu solidement attaché. Du mucus avait commencé à s'échapper de sa bouche entrouverte pour former un groupement de bave semblable à l'écume de la mer. Bientôt, l'homme ne pleurait plus. Bientôt, l'homme ne bavait plus. Les deux liquides qui par ses orifices se sont révélés, s'étaient évaporé avec la chaleur. Peu de temps après, sa flamme de vie s'éteignait sans que son cadavre n'en fasse autant. Son corps calciné, noir par endroits, desservait l'individu qui l'habitait autrefois. Il était maintenant impossible de le reconnaître, semblable à des milliers sur terre, sa carcasse était devenue celle d'un inconnu. La fumée qui remplissait la pièce et nos poumons s'apparentait à l'âme du défunt s'envolant vers les cieux mais coincé par le plafond et les remords. Son âme deviendrait un esprit vengeur, c'est ce que cette vision me fit d'abord penser.

Hébé regardait la scène d'un air satisfait, voire chaleureux. On avait l'impression que le feu qui avait tué un dieu n'était que celui d'une cheminée, destiné à réchauffer les cœurs et les esprits. Elle éclairait toute la pièce. La lueur dansante sur son visage rayonnait son expression et la mettait en valeur. Pour ma part, j'ai fui, après que les mots de la déesse m'ai réveillée de ma torpeur. Sa voix était douce et maternelle. Elle les avait prononcé après avoir refermé les yeux du décédé de la main pour apaiser les muscles crispés de son visage.

"Tu n'as pas l'air d'avoir eu une mort paisible toi aussi, mais maintenant ton expression affirme le contraire."

Ses paroles, je les avais prises pour moi. Plutôt pour un futur moi. J'envisageais qu'elle viendrait me tuer moi aussi. Mes jambes m'emmenèrent inconsciemment jusqu'à Apollon lui-même. Je devais la dénoncer, je ne pouvais pas garder ce que j'avais vu seule. Je devais confier le poids qui pesait sur mon cœur à un dieu, à un égal du meurtrier. Devant la grandeur du roi soleil, je me sentais encore plus petite et chétive qu'à l'accoutumée. J'étais hors d'haleine, mes jambes peinaient à me porter d'avantage et mes larmes mouillaient mes joues sans retenues. Quelle piètre apparence pour se tenir devant lui. Mais peu importe, il était de mon devoir de faire mon rapport à mon maître, malgré le contenu différent à ce qu'il attendait. À bout de souffle, alors que je me battais pour ne sortir qu'un mot, il répondit à ma phrase muette par une expression grave :

"Je sais."

Juvenile RequiemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant