Chapitre 4

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La colère.
1ère muse :

Si Hébé avait encore le cœur meurtri de son isolement, son comportement montrait tout autre. Elle avait comme accepté sa situation nouvelle, et s'adonnait à ses tâches sans un mot ou un soupir. Notre maître Apollon, inquiet au sujet de sa jeune demi-sœur, nous pria, nous les muses, de la surveiller au quotidien.

C'est la raison qui m'a mise sur le chemin de l'atelier. L'atelier était le lieu où l'on entreposait les armes, celles d'Arès et celles d'Athéna en faisaient même partie. Seulement par respect, il était interdit d'emprunter celles d'autrui. Seul l'éclair de Zeus n'était pas ici. En temps de paix, il n'y avait qu'Héphaïstos qui y venait lorsqu'il montait à l'Olympe pour déposer ce qu'il avait forgé.

Arrivée à ma destination, je glissai un œil à l'intérieur pour y trouver la jeune déesse qui travaillait dur sur le char d'Héra. Cette dernière l'avait prise pour servante et depuis c'était elle qui s'occupait du départ à la guerre de sa mère. Hébé ne me remarquait pas lorsqu'elle commença à fixer les liens des animaux par de solides boulons de fers. Pas si solides que cela finalement, car ce n'était que des bouts de cartons assez bien découpés et repeints par-dessus pour donner la bonne illusion.

J'aurais pû éviter cet "accident", je le confesse. Mais sûrement de l'hésitation mélangée habilement à une certaine foi placée en la jeune fille m'y a empêché. Je ne voulais pas y croire, je me disais simplement que j'avais mal vu, que c'était une erreur et de ma faute. Ce n'est qu'après avoir réfléchi à toute cette situation que ça m'est venu à l'esprit.

Héra, de retour et prête à retourner à la guerre, ne prit même pas la peine de vérifier son véhicule, plaçant une confiance aveugle en sa fille. Elle se plaça au centre de celui-ci, prit les rênes de ses paons précédemment attelés par Hébé elle-même, et déclencha le coup de cravache fatal. Les sublimes paons, dont les ocelles azurs et fauves se détachaient de leurs immenses plumes, s'envolèrent à l'unisson. Seulement la déesse, dont le seul lien qui la rattachait à ses oiseaux étaient les rennes elles-mêmes, se retrouva projetée en avant et suspendue en l'air pendant une bonne dizaine de minutes.
Pour autant ses animaux volatiles ne s'arrêtèrent pas et étaient bien décidés à arriver comme convenu à destination. Une scène ridicule et honteuse pour la protectrice du mariage qui se faisait malmener par sa bête aviaire symbolique.

Sur la berge, nous ne pouvions plus rien faire pour elle. Nous la regardions, courir vers sa mort, sans un geste ou un mot. Je jeta un coup d'œil à Hébé. Elle se tenait droite, pas un signe de tristesse pour sa mère mais aucun signe de contentement aussi. Elle était vide, comme si elle n'était animée que par ses tâches et son travail.

Lorsque j'entendis un long cri d'effroi, je me redirigea vers la scène principale avant d'y trouver Héra, tombant sans fin par delà des nuages et de notre champ de vision. Mais de toute façon, les dieux sont immortels non ? Il n'y a aucune chance qu'elle soit décédée dans cet accident et qu'elle ne disparaisse réellement.

Je voulais simplement me persuader du contraire de ce que je venais de voir. Mais ne la voyant pas revenir après plusieurs jours, il fallait se rendre à l'évidence.

2nde muse :

Alors que la guerre faisait rage, moi et une de mes sœurs muse relayons la première pour la surveillance d'Hébé.

Depuis le décès de sa défunte mère, la jeune fille passait souvent ses journées en compagnie d'Aphrodite. La déesse de la beauté lui murmurait des jugements ou des bruits de couloirs auxquels l'adolescente répondait par des hochements de tête. Parfois, c'était un soupir discret qui s'échappait. Bien entendu, il était aisé de s'apercevoir qu'Hébé subissait plus qu'autre chose sa fréquentation.

Mais aux yeux de la grâce incarnée, il lui était profitable de garder la jouvencelle sous son aile. En effet, Aphrodite était la seule déesse à encore pouvoir avaler du nectar. Et ce, en grande quantité. Chaque jour et chaque heure, elle recevait une certaine dose qu'elle buvait immédiatement. Au cours des jours qui suivirent, l'effet attendu se vit intensément. Elle avait rajeuni de plusieurs années et aucune créature sur terre ne pouvait maintenant l'égaler.
Ainsi était fait le quotidien d'Hébé.

Jusqu'au jour où son frère Arès revint de guerre blessé et mutilé par Diomède, roi d'Argos. Ce grand guerrier mortel, protégé par Athéna elle-même, avait réussi à battre un dieu. C'était donc un autre dieu qui avait réussi à le sauver et l'emmener sur l'Olympe afin de le soigner.

Hermès.

Avec sa vitesse fulgurante, il avait atteint le sommet de la montagne en un temps record. Avant... de tomber à terre, vaincu par la gravité.

Rappelons-le, les dieux n'étaient plus immortels et les forces de la nature les impactent autant que les êtres éphémères.

C'est donc désintégré par l'érosion du vent qu'il arriva, avec Arès, devant Hébé. Le dieu belliqueux lui, beaucoup plus robuste que son compagnon, avait tenu le voyage.
Son état moral par contre était tout autre. Il avait observé son ami se désintégrer couche par couche au fur et à mesure de l'ascension.

Il avait vu d'abord ses cheveux bouclés s'envoler, ensuite sa peau pour laisser ses muscles et sa chair à nu, pour continuer aux organes maintenant libres de leur enveloppe charnelle et enfin finir sur les os qui se laissaient entrevoir. Ses dents, elles, formaient un sourire forcé, sans joues pour le cacher.
La première vision qui l'avait frappé et qui serait indélébile dans son esprit fut les yeux exorbités d'Hermès, dépourvus de paupières, et le cartilage de son nez disparu.

Hébé prit son frère sans même jeter un regard au corps gisant à terre. Elle l'emmena dans la salle des soins, sans protestations, sans rictus, sans pleurs et sans dégoût.

Juvenile RequiemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant