Le marchandage.
4ème Muse :Après la mort d'Apollon, la jeune fille ne savait plus quoi faire, elle était perdue, incapable de réagir rapidement et ses pupilles s'accrochait à un détail précis des heures durant, alors que son esprit partait au loin, peut être essayant de rejoindre son frère adoré. Comme elle l'a déjà si souvent répété, elle était vide, sa vie était vide, son esprit était vide, son quotidien et ses gestes l'étaient aussi. Elle avait une expression funèbre, comme si elle avait invité la mort elle-même à prendre ses traits et la remplacer un temps. Elle continuait ses journées avec mollesse et désarroi et redécouvrait chaque jour ses activités habituelles avant de les oublier jusqu'au lendemain. Elle ne vivait plus. Elle survivait.
Néanmoins, comme disent beaucoup n'ayant jamais vécu la calamité de la mort, "la vie continue". C'est une façon directe et assez fausse en réalité d'exprimer les sentiments d'un endeuillé. Pour être plus exact, nous devrions plutôt dire : "Lors de la perte d'un être cher, la vie continue mais n'est plus la même. Chaque année, chaque mois, chaque semaine, chaque jour, chaque heure, chaque minute et chaque seconde, nous pensons à lui. Chaque fête, chaque événement, chaque soirée calme ou bruyante, chaque verre d'alcool ingurgité, chaque larme et chaque rire, lui est dédié. Au lever du soleil, notre tristesse infinie se lève avec nous. Au crépuscule, les ténèbres de la nuit nous rapportent nos remords sur l'être au ciel, en même temps que l'insomnie. Parfois nous sommes coupables de vivre des instants heureux sans lui. Parfois nous sommes reconnaissant de ne plus l'avoir à nos côtés, afin de l'épargner de toutes les peines modernes. La vie continue mais elle est altérée par la nostalgie et la mélancolie. La vie continue mais notre quotidien qui nous suit encore, s'en retrouve dénaturé. La vie continue oui, mais la vie devient vide."
Enfin, la vie d'Hébé "continuait" en compagnie de la déesse de la beauté. C'est ainsi, en réponse aux résultats escomptés et à son trafic, qu'Aphrodite avait décidé de récompenser sa tutelle en lui présentant son fils le plus cher et dont elle était la plus fière. Ce fils, elle l'avait eu seule, ce qui est finalement plus courant qu'on ne pourrait le croire dans le panthéon grec.
Hébé :
Eros. C'était, il me semble, le prénom de ce jeune homme. Je ne l'avais pas bien entendu lorsqu'il se présenta à moi, trop occupée à scruter chaque détail et chaque parcelle de son corps. Je ne l'écoutais plus, mes pensées parasites prenaient tout l'espace et brouillaient mes sens. Je n'arrivais plus à percevoir le monde, à part à travers lui. J'étais dans le noir, le flou complet, seule sa voix et son image me rattachait à mon environnement. Ces liens, c'était des cordes, pouvant me sauver de ma chute éternelle tout comme me pendre à chaque instant. Des cheveux blonds, bouclés et solidement attachés à sa tête. Des cheveux blonds qui devenaient ma bouée dans le déluge de mes émotions. Sur ce radeau, il n'y avait ni Prométhée, ni Epiméthée et ni Pandore, il n'y avait que moi et lui, survivant aux flots déversés par Zeus.
Des yeux d'un bleu pur, angélique, comme si la frontière de l'horizon entre le ciel et la mer n'existait plus et mélangeait les deux couleurs. Ces yeux bleus qui semblaient me noyer et me plonger dans la folie.Je pouvais ressentir la pression de l'eau au-dessus de ma tête et de mon cœur, mais trop pressée de saisir l'instant d'après afin de ne jamais oublier cet enivrement, je remontais trop vite. Une nausée affable me prenait la gorge, remontée des plus profonds recoins de mon anatomie, pour ne jamais sortir.
Seul mon sourire sincère qu'il avait réussi à m'arracher, transparaissait cette nausée douce et paisible. Arracher n'est pas le terme approprié, je devrais plutôt dire apporté. Même du creux de mon âme, ne pouvait se cacher un sourire aussi agréable pour les mâchoires et les yeux. Il ne pouvait pas l'avoir trouvé en moi, il m'avait apporté ce bonheur et me l'avait confié, comme un secret qui nous fait sentir intime avec l'original propriétaire. Je ne devais pas me laisser absorber par mes sentiments, je remontais à la surface, je luttais contre les flots et l'obscurité terrifiante. Entre deux bouffées d'air durement acquises, les vagues me bousculaient, me berçaient et m'attendrissaient avec une intention mesurée au millimètre près, une intention spéciale qui m'était réservée. Bientôt, j'acceptais mon sort et je me laissais couler au fond de cette mer déchaînée. Observant les clartés du jour, qui semblait enfin se lever à travers l'océan, le silence enfin fait et la solitude acceptée et comprise, je laissais mes yeux découvrir et imaginer le futur au-delà de l'horizon.
Un poids tellement lourd et irréel pour la physique quantique, m'attirait vers les abysses du monde. Ce poids ne déformait plus l'espace, mais il le déchirait, le détruisait et passait à travers chaque obstacle. Certains appellent ce poids "l'amour". Pour ma part je ne l'appelle pas, aucun mot ne saurait le définir pleinement et à sa juste valeur, ce mot inconnu qui a explosé toutes les échelles et règles mises en place. Ce mot peut rendre une anarchie possible et sans limite sans toutes les difficultés créées par la perversion de l'humanité. Cette perfection que je croyais établie depuis longtemps, n'avait plus aucun sens. Les plus grands sages étaient inconscients et les plus grands fous, lucides. Ce monde suprême auquel je rêvais tant, cette idylle irréprochable que je cherchais à tout prix à obtenir, je l'avais trouvé sous les traits angéliques d'un jeune homme.
L'être cher et perdu, disparaissait une nouvelle fois en mourrant dans ma mémoire. Eros occupait toutes mes pensées et ne laissait aucune place à Apollon.La mort ne saurait plus m'apporter le plaisir de la liberté, l'amour le pourrait.
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Honnêtement je sais pas comment va être accueilli ce chapitre, parce que c'est vachement expérimental. La description de la mer je sais pas ce qui s'est passé dans ma tête mais si ça fait fait bien tant mieux. Mais le vrai challenge de ce chapitre c'était la description de l'amour, n'ayant jamais vraiment vécu ce sentiment.
J'espère que ça vous plaira et que le reste du récit à venir aussi.
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Juvenile Requiem
General FictionHébé, déesse de la jeunesse et de l'immortalité, vous raconte ici sa descente aux enfers. Un conte de meurtre et d'amour, en guise de requiem pour les défunts trépassés par sa main.