Reconstruction

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Quand je pense à tout ce qui m'est arrivé, je ne peux m'ôter de l'esprit l'idée qu'un mystérieux destin tisse les fils de nos vies avec une vision très claire du futur, sans prendre en compte nos désirs et nos projets.

— Mathilde Asensi


Reprendre goût à la vie, retrouver des relations sociales avec les autres et vouloir construire de nouveaux projets sont les signes que le deuil arrive à son terme.


Samedi 6 mai 2023, 14h30.

Le Roi Charles III venait de se présenter au balcon de Buckingham Palace après son couronnement. Aujourd'hui était un jour spécial pour le Royaume-Uni et les pays du Commonwealth. Le couronnement du Roi, après les 70 ans de règne de la Reine Elizabeth II, marquait un nouveau chapitre dans l'histoire mondiale.

Comme un signe du destin, la Reine était décédée le jeudi 8 septembre 2022, deux jours seulement avant l'accident de voiture qui avait pris la vie d'Erika Jolina ; et le nouveau souverain prenait officiellement son rang huit mois plus tard. Erika était née à Londres car son père était lui-même britannique, même s'il s'était expatrié en France quelques années avant la naissance de son premier enfant. Encore très attachée à la Couronne, la famille Jolina s'était réunie près du Canada Gate, en face du palais, accompagnée par Tiago Lopez qui avait d'abord hésité à venir puis, poussé par les arguments d'Allan et de sa psychologue, il avait accepté l'invitation.

Au-delà de la symbolique du Roi qui salue officiellement son peuple pour la première fois, Tiago ressentait un pincement au cœur, comme une piqure de rappel, un couteau qui se planterait une nouvelle fois dans une blessure fraîchement cicatrisée. Ça lui faisait mal, mais, pour une fois, cette douleur était complètement supportable, comme si un ange veillait sur lui pour atténuer son mal-être.

Après la cérémonie, en faisant un détour par Covent Garden, le quartier britannique préféré d'Erika et là où de nombreux artistes de rue venaient divertir les touristes, une citation d'une certaine Katherine Perez avait été inscrite à la craie blanche sur le sol : « You left your name on my lips. Everyone I meet knows I loved you. » (« Tu as laissé ton nom sur mes lèvres. Chaque personne que je rencontre sait que je t'aimais. ») Tiago avait l'impression de ne jamais avoir lu quelque chose d'aussi vrai. Il savait qu'il ne pouvait déjà pas s'empêcher de parler d'Erika et que cette habitude le poursuivrait toute sa vie. Pas parce qu'il ne pourrait pas se reconstruire, rencontrer quelqu'un d'autre et être heureux, mais simplement parce qu'elle avait marqué son existence. Elle faisait partie de lui et, s'il voulait seulement que les gens comprennent qui il était, il ne pouvait faire autrement que de parler d'elle.


Dimanche 10 septembre 2023, 7h20.

Arrivant en courant à toute vitesse, bousculant quelques personnes qui s'étaient elles aussi levées tôt pour peut-être se rendre au même endroit que lui, même s'il était quasiment sûr qu'aucun d'eux n'avait ouvert les yeux avant lui ce matin, le brun se remerciait d'avoir développé son cardio grâce au volleyball.

— Qu'est-ce que tu foutais ? Ça fait une heure que je t'attends !

— Désolé, Allan, mais je devais la revoir une dernière fois avant de partir.

Aujourd'hui, cela faisait exactement un an que l'accident de voiture avait eu lieu ; et une semaine plus tôt, Erika aurait dû fêter ses 21 ans. Un anniversaire que Tiago n'aurait voulu rater pour rien au monde. Il s'était recueilli avec la famille Jolina sur la tombe de leur fille une bonne partie de l'après-midi. Ces derniers mois, ils ne s'étaient pas beaucoup vus, mais Laetitia serrait toujours très fort Tiago lorsqu'elle le retrouvait ; le brun n'aurait su dire si c'était pour lui éviter de voir ses larmes ou si c'était tout simplement parce qu'il lui rappelait indéniablement qu'Erika, malgré son jeune âge, avait eu la chance de connaître l'amour de toutes les façons. Même si le secret médical persistait après le décès, Tiago n'avait jamais trouvé le courage d'annoncer ni la grossesse ni l'avortement de leur fille à Rory et Laetitia. Cependant, une partie de lui était persuadée qu'ils se doutaient de quelque chose. Peut-être avaient-ils trouvé d'autres lettres destinées à Espoir, le nom que donnait Erika à leur enfant, ou d'autres documents médicaux qu'elle avait dû cacher dans sa chambre ou ailleurs. Mais, par pudeur, ils ne lui en parleraient sûrement jamais.

La dernière nuit de septembreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant