Chapitre 1

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Depuis des mois, nous avons emménagé dans le manoir de mon enfance. Ici, j'y ai passé toutes mes vacances d'été. Cette grande bâtisse était notre terrain de jeu préféré à Nathan, mon frère jumeau. Si je tends l'oreille, je peux entendre l'écho de nos rires dans ces grands dédales de couloirs. L'odeur de l'ébène qui habille le soubassement de chaque mur, ravive en moi des souvenirs heureux. Où d'autres fantasmeraient sur des histoires loufoques de fantômes, moi, je m'y sens très à l'aise sans l'ombre d'esprit malfaisant aux tableaux. Le paranormal existe que si on ne lui en donne l'occasion !

Dans le sous-sol, pas de crypte, mais un immense laboratoire, imaginé et conçu par mon grand-père Ernest. À travers ses expériences de chimiste, il m'a transmis sa passion en héritage. Et, de cette passion est née la carrière que je me construis au fil des ans. Tout comme mon frère, je suis en cinquième année de médecine où je me spécialise dans la génétique et Nathan pharmaceutique.

Mon défunt grand-père nous a légué sa maison, mais aussi une confortable fortune que mon père fait fructifier par le biais de son travail. L'énigmatique Monsieur Robert Mac Duffelling est un redoutable directeur d'une des plus grandes banques de Vancouver. Quant à sa femme, Madame Gina Mac Duffelling, ma mère, orchestre en tant que médecin à l'hôpital du centre. Prise constamment par son travail, Anna, notre gouvernante, comble son absence...peut-être ...un peu trop ! Puisqu'il semble très clair, qu'elle convoite d'un air envieux mon père. Ma meilleure amie, Livia, s'entête à me rabâcher que je fabule, mais je ne suis pas aveugle et je vois distinctement dans le jeu de séduction de notre employée.

J'aimerais y voir tout aussi clair à l'égard de Matt, le meilleur ami de mon frère. Pour moi, il reste une énigme. Lors de notre adolescence, il fut mon premier amour. Quand on aime on ne compte pas, alors je lui ai tout offert jusqu'à mon bien le plus précieux, mon innocence ! Notre idylle cachée aux yeux de tous ne dura qu'un printemps puis les grandes vacances d'été nous ont séparés. Il est revenu de son voyage en Sicile, indifférent à notre histoire. Pourquoi ? Encore aujourd'hui cette question est sans réponse. Nous sommes restés sur un non-dit afin de préserver notre amitié et surtout mon frère. Mais, depuis tout ce temps, je suis secrètement amoureuse de lui. Malheureusement pour moi, Matt est un garçon instable en amour, car il recherche la femme parfaite. À ses yeux, autant dire qu'il désire le Graal, mais comme le Graal n'existe pas, je me heurte douloureusement à un défilé de filles qui passe entre ses bras.

- BIP BIP BIP ...

La sonnerie de mon réveil me sort trop tôt de ma nuit.

Mon corps est las, tous mes muscles sont lourds et mes paupières semblent collées par la fatigue.

- BIP BIP BIP.

Je l'ensuque pour la deuxième fois, pourtant mon corps refuse toujours de se mettre debout. J'ai cette désagréable impression d'être mise sur pause alors que le monde continue de tourner.

- ANDY ! cri mon frère de l'autre côté de ma porte. Je décolle dans cinq minutes avec ou sans toi.

La poisse ! ma voiture est au garage pour réparation ce qui me laisse à a merci de mon frère. Bien que nous ayons vingt-quatre ans, nous sommes toujours chez nos parents afin de parfaire plus facilement nos longues études.

Dans le salon, Nathan est déjà sur le départ, ma mère n'est déjà plus là et mon père claque la porte de son bureau derrière lui, son téléphone à l'oreille avec sa secrétaire. Mon frère marque une pause pour nouer son lacet puis il me regarde prendre une gorgée de café toujours dans mes pantoufles.

- Tu vas me mettre en retard si je t'attends ! Alors pour aujourd'hui, tu me feras le plaisir de prendre le bus, car moi, j'ai un exam' dans même pas une heure et je dois récupérer Matt au passage, mais n'oublie pas que je t'aime !

Sur ce monologue sans fin et hypocrite, le double de ma chair m'abandonne à mon triste sort, mais surtout à la galère des transports en commun.

- Nathan, attends ! crié-je avant que la porte ne se ferme derrière lui.

- Couvre-toi, car il fait froid, hurle-t-il depuis sa voiture.

Je gronde comme un lion avant de cracher un vilain juron à son égard. Anna, la gouvernante, s'offusque devant mon langage grossier, puis dépose une assiette de toasts devant moi et repart ranger la cuisine. Je lève les yeux au ciel à l'attention de cette femme trop parfaite qui cache bien son jeu auprès de ma famille et plus particulièrement mon père.

Après avoir pris un semblant de déjeuner, je ne m'active pas, je me traine difficilement pour finir de me préparer et quand enfin, je mets un pied à l'extérieur, le froid me saisit la gorge d'une morsure glaciale. J'attrape à la volée cette écharpe beaucoup trop grande de mon frère pour me draper comme une momie. Dehors, en cette fin octobre, le temps est maussade, il reflète le début de ma journée. Assise sur ce siège de plastique et la tête posée sur la vitre, j'accuse la conduite brutale du chauffeur en regrettant amèrement le confort de ma voiture bloquée chez le garagiste.

À défaut d'être libre et d'aller où bon me semble, je me libère l'esprit en me focalisant sur la chaussée et ses passants. Tout porte à croire que le réveil est dur pour tout le monde ; la fleuriste fait tomber sa composition, un chien tire fort sur la laisse de cette pauvre femme et un jeune homme vient de rater son bus, en courant dans l'espoir de le rattraper. Je me réconforte de ne pas être seule dans cette journée sombre, puis je remonte l'écharpe sur le bout de mon nez quand je sors enfin du bus en direction de ma fac.

La tête ailleurs, j'oublie la longueur démesurée de ce lainage, alors maladroitement, je m'y emmêle le pied droit. Sans suspens, ni chance, je trébuche de tout mon poids en avant mais au lieu d'embrasser lourdement le sol, je suis saisie au vol par une paire de bras. Surprise par ce sauvetage et la vivacité du geste, je me retiens à un long manteau noir.

Je suis encore étourdie quand mon regard se porte sur Lui. Un homme. Non... un très grand homme ! Son teint pâle s'accorde avec l'étrange fraîcheur que dégage sa peau. Sa chevelure sombre et bien dressée, encadre graduellement son visage pour finir par une mâchoire carrée rasée de près, mais surtout extrêmement virile. Ses lèvres charnues et rougies par le froid de ce matin d'automne, soufflent une note sucrée mentholée.

- Vous allez bien mademoiselle ?

Sa voix n'est qu'un murmure qu'il dépose avec délicatesse au creux de mon oreille. Mais, les mots me manquent quand mes yeux plongent, sans bouées de secours, dans les siens. Je viens d'être happée par la profondeur de ses pupilles, comme si une force invisible me tirait vers le fond, jusqu'à que je m'y noie... sans avoir même essayé de survivre.

Dans un réflexe indépendant de ma volonté, mes mains s'agrippent de toute leur force autour de son cou, juste avant que... je ferme les yeux.

... Avant que mon âme ne soit happée dans le vide.


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L'ombre PourpreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant