Chapitre sans titre 10

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   Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Le poids de ma conscience était un fardeau sur ma poitrine. Il fallait que je fasse un choix puisque je ne peux avoir les deux. J'ai longuement réfléchi, je me suis torturée l'esprit et à regret, j'ai flagellé mon pauvre cœur qui refuse toujours l'évidence de n'en garder qu'un seul. J'ai pesé le pour et le contre, mais chacun se différencie distinctement par ses qualités et ses défauts. Un est le yin, l'autre le yang. Il y a le chaud et le froid. Le poivré et le sucré. L'accueillant et le mystérieux. L'intime et l'inconnu. Ils se reflètent dans un miroir ; d'un côté, il y a la lumière et dans l'autre les ténèbres. J'aime toutes ces facettes qu'ils me proposent car ils sont l'opposés, mais à la longue est-ce que l'absence de l'un ne va pas empiéter sur l'autre, puisqu'à eux deux, ils forment mon tout ?!

Ce matin, j'ai opté pour une tenue sombre, car indirectement je me sens en deuil. Je me suis peignée d'un simple chignon et j'ai carrément ignoré mon maquillage. J'ai fait l'ouverture du campus avant tous les employés administratifs et même le chancelier. J'étais donc la première à me rendre au secrétariat pour finaliser mes papiers du voyage. J'ai erré comme une âme en peine, jusqu'à que tous les étudiants arrivent enfin. Des cars pleins, des voitures par dizaines, quelques motos, pour la plupart à vélo et la majorité à pieds.

Livia s'est jointe à moi le temps d'un café, mais mon mutisme l'a fait fuir à son prochain cours qui ne commence que dans trente-huit minutes. Mon frère s'entretient avec Dan pour savoir comment il va gérer l'équipe de foot en son absence et Célia scrute l'horizon observant frénétiquement sa montre. Je regarde cette dernière avec plus d'attention. Ses traits sont tirés, des cernes rongent le bas de ses yeux et l'inquiétude se peint sur son doux visage. Elle aussi semble avoir eu une nuit agitée. Matt lui a-t-il tout avoué ?

J'en doute, sinon elle ne m'aurait certainement pas saluée comme à son habitude. Cependant, elle n'est pas bien et à en croire sa façon de chercher autour d'elle, son agitation du jour porte bien le nom de Matt. Je reste tapie dans l'ombre, simple observatrice, car à vrai dire, je ne sais pas comment affronter ma propre journée. Les minutes défilent, les heures passent et toujours pas de Matt au moment du repas. Célia consulte son portable, ne touchant pas à son assiette. Tristement, elle regarde dans le vide sans nous prêter attention.

— Célia t'as des nouvelles de Matt ? C'est bizarre, il est absent et il ne m'a toujours pas téléphoné. C'est la première fois que ça lui arrive, demande mon frère qui regarde son portable à son tour.

— Je suis inquiète car depuis hier soir en partant de chez lui, je n'ai plus eu de nouvelle. Il était très contrarié pour je ne sais quelle raison. J'ai essayé de creuser pour connaître le fond du problème mais il m'a poliment envoyé me faire foutre. C'était notre première dispute et je t'avoue que je me sens un peu perdue face à tout ça, explique-t-elle en épongeant une larme.

— Viens là ma belle, dit mon frère en lui ouvrant ses bras. Son père est un peu tyrannique par moment et je pense qu'hier soir, tu as essuyé les déboires d'une de leurs altercations.

Célia se réfugie contre mon frère pour pleurer ce qu'elle ne comprend pas ; le changement soudain de son petit ami...si seulement elle savait, elle serait entrain de m'arracher les cheveux avec ses dents. Par-dessus son épaule, Nathan m'implore discrètement d'intervenir pour la consoler. Comment pourrais-je jouer le rôle de la bonne amie ? Je n'arrive même pas à la regarder dans les yeux, tellement la culpabilité m'assaille. J'ai couché avec celui qu'elle porte dans son cœur, sans éprouver une seule once de remords et j'ai même adoré qu'elle puisse nous entendre, et pour couronner le tout, j'aime son petit ami. Chamboulée à mon tour, j'attrape mes affaires pour fuir cette ambiance pesante.

Mon sac sur le dos, je marche pendant des heures dans les rues de Vancouver à la recherche d'une force surhumaine. Le froid de cette fin d'hiver me parait dérisoire face à mes peines de cœur, pourtant je suis gelée quand mes pieds s'arrêtent naturellement sur le palier d'entrée de chez Matt. Avec appréhension, je toque à sa porte et sans surprise, c'est Francesca qui m'ouvre le sourire aux lèvres.

L'ombre PourpreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant