Chapitre 5

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Cela fait combien de temps que j'ai les yeux ouverts ? Ils sont asséchés, j'ai l'impression de ne pas les avoir clignés depuis des heures. J'ai vu la nuit qui a laissé paresseusement la place au jour qui s'est étiré au-delà de la fenêtre, illuminant ma chambre. J'ai pu observer la rosée qui perlait délicatement sur le lierre qui couvre le volet. Les rayons du soleil ont été capturés par les gouttes d'eau qui ont étincelé autour de moi comme une boule à facette. C'était d'une telle clarté que cela semblait irréel ! Le bruissement de la brise dans les arbres a élevé le moindre bruit jusqu'à moi ; un cheval qui a henni, le pas lent du chat sur le toit et le crépitement d'un œuf sur le plat. Que s'est-il passé ? Pourquoi tout était clair et limpide ? Quel jour sommes-nous ? Quelle heure est-il ? Je suis immortalisée dans une bulle où mon corps s'est pétrifié, pendant que le monde s'est réveillé autour de moi.

— Andy, tu as sauté le petit déj', prendras-tu le déjeuner avec nous ? demande ma mère qui entre dans ma chambre puisque la porte y est à moitié ouverte.

Surprise de me découvrir immobile sur le lit façon poupée de cire, elle marque une pause. Comme si elle venait d'éclater la bulle qui m'emprisonnait, je sors instantanément de ma torpeur et viens m'asseoir au bord du matelas dans un bond. Devant le miroir qui me fait face, je me découvre habillée d'une robe rouge et à mes pieds une paire de bottes salie de crottin de cheval.

— Tu ne t'es pas déshabillée ni démaquillée hier soir ?! constate-t-elle, plus qu'elle ne me questionne.

Hier soir ? Mystère ! Encore une fois, mon cerveau a volé une partie de ma vie, et par ma tenue guindée, il devait y avoir quelque chose de particulier. Mais, à cet instant, ce qui me préoccupe, c'est le visage inquiet de ma mère qui comprend que quelque chose ne va pas. Je dois faire diversion, afin de ne pas subir un panel d'examens. Je sais que quelque chose cloche, c'est évident, cependant je suis convaincue d'être en bonne santé. Il y a une explication rationnelle à tout ça, je vais la trouver.

— J'étais épuisée ! expliqué-je en me frottant la nuque d'une main lourde afin de jeter un œil discret au réveil. Midi ! crié-je. Ah oui, il est temps de me lever. Quelle soirée ! lancé-je dans l'espoir qu'elle m'éclaire.

— C'est vrai ! Les Ivanov sont des personnages à part entière. Mais, bon, peut-être est-ce la coutume en Bulgarie. Cependant, j'ai trouvé qu'il y avait une drôle de connexion entre toi et Trévor. Y a-t-il quelque chose entre vous ? demande-t-elle de but en blanc sur un ton de désapprobation.

Tant d'informations en une seule phrase ! Mais, cela suffit à me rafraîchir la mémoire sur les invités que nous avons reçus lors d'un repas, qui fut atypique, surtout de la part de Madame Ivanov Maria. En ce qui concerne Trévor, j'ai trouvé nos rapports stériles. Nous avons peu échangé, sauf pour éclaircir mon accident mais rien de plus pour affirmer une relation. Toutefois, j'ai beaucoup de mal à me souvenir de lui durant la soirée, comment s'il n'avait pas vraiment été là. Serait-il resté jusqu'à la fin du repas ?

— Je te rappelle qu'il va devenir mon professeur.

— Il est simplement un intervenant coordinateur qui n'a pas vraiment d'étiquette de professeur auprès du campus. Bien qu'il soit séduisant, il ne faut pas omettre que c'est un Ivanov !

— Tu insinues quoi ?

— Pleins de choses. Premièrement il ne vit pas ici, deuxièmement il fait partie d'une famille très étrange et troisièmement, il ne faut pas exclure le fait qu'il y ait une possibilité qu'il soit un lointain cousin.

— Alors rien que pour toutes ces trois choses et bien plus encore, il est et restera Docteur Ivanov pour la rassurer.

— Andy, ton grand-père avait nourri un genre d'obsession dans son labo. Toi-même tu sais combien il en était psychologiquement perturbé les derniers temps. Et j'ai cru comprendre que la famille Ivanov n'était pas étrangère à tout ça. Je ne sais pas ce qui en résulte et je ne veux pas le savoir. Tout ce qui m'importe, c'est que ton frère et toi, vous ne tombiez pas dans la folie de votre grand-père via les recherches de Trévor. Même s'il devait trouver la formule de la jeunesse éternelle, je ne veux pas que ce soit en contrepartie de la vôtre. Et je sais de quoi je parle, puisque moi-même je me suis laissée atteindre par ce rouage professionnel, alors ne faites pas la même erreur ton frère et toi.

Ernest Théophile Zàyin Mac Duffelling, mon grand-père, il n'était pas fou ! Il était juste un passionné de science et plus particulièrement de la recherche. Son labo regorgeait de merveilles en tout genre. Toutes les boites de pétri étaient remplies de mystères silencieux, qui sous le microscope se mettaient à vivre en infiniment petit. Les tubes à essais saturés en substances indescriptibles étaient, certes, une énigme pour ma mère, mais de la magie pour moi. J'avais la panoplie du parfait petit chimiste en grandeur nature, supervisée par un maître en la matière qui me laissait libre accès à tout. En grandissant, j'ai lâché mon tablier pour aller sur le banc de l'école afin de me certifier dans ce domaine et en faire ma profession. Je me suis donc détachée des recherches de mon grand-père, qui petit à petit sont devenues inaccessibles. Prise par mes études, je ne me suis plus penchée sur son travail et de son côté, il n'avait pas l'air de vouloir nous partager ses trouvailles, alors j'ai respecté son choix. Mais je suis tout de même curieuse de connaître le lien entre les Ivanov et les recherches de mon grand-père.

— Promis Gina, la vie avant le travail !

À présent seule dans ma chambre, je me regarde dans le miroir pour essayer de me rappeler du moindre détail d'hier soir. Les souvenirs vont et viennent et parfois se meurent dans les abîmes de ma mémoire amochée. Alors pour pallier cette défaillance, j'attrape un cahier vierge et note tous mes souvenirs, du plus important au moins intéressant. Je ferme le cahier et l'intitule « Carnet de bord ». À partir d'aujourd'hui entre ses lignes sera inscrit chaque instant de ma vie comme un journal intime afin de ne plus rien oublier, si jamais je devais encore faire face à des troubles neurologiques.

Enfin prête à reprendre le cours de ma vie, je remarque tout à coup, que je ne me suis pas servie de mes lunettes de vue pour écrire. Atteinte d'hypermétropie depuis des années, je me trimballe en boulet mes deux ronds de verre à chaque fois que j'ouvre un livre ou que je sors mon stylo. Intriguée, je les pose sur le bout de mon nez, mais très vite, je les retire, car elles me font loucher. Plusieurs fois je réitère l'expérience pour m'apercevoir que ma vue est aussi parfaite de près comme de loin et j'irai même à dire, encore mieux qu'avant. Étrange ! Mais enfin que se passe-t-il dans mon corps ?

— Andy, à table ! me lance ma mère de la cuisine d'une voix très claire, comme si elle était derrière ma porte alors qu'elle est presque à l'autre bout de l'aile ouest du manoir.

— J'arrive !

Bon tant pis, je suis trop affamée pourcomprendre quoi que ce soit

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L'ombre PourpreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant