L'ombre Pourpre

Chapitre 6

FÉVRIER

Rares sont les fois où l'hiver ne nous habille pas de son manteau blanc. Aujourd'hui, il nous fait grâce d'une généreuse couche de neige sur toutes les surfaces planes de la ville. 17 h 00 et la nuit s'est déjà installée dès la sortie de mon dernier cours. Chacun regagne au pas de course son véhicule afin de se mettre à l'abri du froid pour vite rentrer chez soi. Pour ma part, même si le froid me mord le bout du nez et me lacère les joues, je profite du bruit de mes pas qui crépitent lourdement sur la poudreuse. Le campus a été déserté en un rien de temps, me laissant seule avec moi-même dans ce grand parking vide. Empreinte à une peur panique que provoquent bien souvent les films d'horreur, mais aussi à cette étrange sensation qui me poursuit depuis des mois. J'ai l'impression d'être constamment suivie, comme si ma propre ombre m'observait sans répit, alors je me hâte jusqu'à ma voiture pour fuir ma silhouette qui se dessine sur le sol derrière moi. Tout à coup, je me sens en même temps rassurée et intriguée quand je découvre un visage familier, qui m'attend patiemment, adossé à ma voiture.

— Dan ? dis-je très surprise.

Dan Scotterland est mon ex petit ami avec qui je suis restée un an et avec qui ça s'est terminé en fiasco, il y a un an aussi. Dan porte l'élégance sur lui, pourtant il fait partie d'une famille modeste dont les parents sont divorcés. Aux dernières nouvelles, il vivait chez sa mère avec son petit frère, dans une banlieue populaire où il ne vaut mieux pas sortir le soir. Sa mère, Grace, est caissière dans un supermarché et semble très satisfaite de sa vie ordinaire. À première vue, elle ne manquait de rien et semblait plus épanouie que ma propre mère, mais pour Dan, le manque d'ambition de sa mère le couvrait de désespoir et surtout de honte. Personnellement, je trouvais Grace adorable et elle n'avait rien à envier aux autres.

C'était aussi sans surprise de savoir Dan élu roi de sa promo au lycée et qu'il soit à présent chef de l'équipe de foot de mon frère. Dan est un battant, il deviendra quelqu'un de grand. Il réussit avec brio tout ce qu'il entreprend et n'attend pas que les choses viennent à lui, il va directement les chercher. Dan veut réussir et veut surtout faire partie de ce monde clinquant où tout porte à croire que tout est beau et rose, alors qu'il n'en est rien.

Parfois, il me donnait l'impression d'être cette case qu'il devait cocher pour montrer aux gens qu'il avait réussis.

Il s'affichait fièrement à mon bras, j'étais devenue son écusson de qualité, tout simplement sa carte de visite. Car j'avais beau me baptiser Mademoiselle Duff, que je le veuille ou non, je resterai à jamais la fille des Mac Duffelling et Dan en était conscient. Dan voyait en moi ce tremplin qui allait le mener au sommet.

Cependant, il fallait avouer qu'il était non seulement instruit, mais aussi très intelligent. À ses côtés, je me sentais toujours en compétition et malgré moi, je suis entrée dans son jeu. Ma troisième année fut un échec amoureux, et surtout une réussite scolaire. Grâce à lui, j'ai amélioré ma méthode de travail et j'ai acquis des connaissances plus élargies. J'étais avide de tout savoir ; mes livres de chevet ont été remplacés par des encyclopédies et ma télé ne diffusait plus que des reportages historiques, géographiques ou animaliers. Heureusement, mon frère m'a vite ramenée les pieds sur terre. En une année, Dan m'avait formatée jusqu'à devenir un robot en constant apprentissage. Alors j'ai levé le pied et j'ai quitté Dan. Non sans mal, car j'éprouvais de forts sentiments, du moins, c'est ce que je croyais.

Cela fait plus d'un an depuis notre rupture, qu'il me snobe avec dédain, c'est bien pour ça que je suis étonnée de le voir ici avec un sourire chaleureux et accueillant sur le visage malgré ce froid glacial.

— Salut Andy, ça fait longtemps, n'est-ce pas ? Souligne-t-il, un peu honteux.

— Pourtant, ce n'est pas faute de se croiser tous les jours sur le campus, au self, sur le stade...