L'ombre Pourpre

Chapitre 3

   Ce matin, pour me rendre au campus, j'opte encore pour le bus, car j'ai besoin de reconstituer le puzzle d'hier, peut-être qu'un élément m'a échappé. Emprunter le même chemin, dans les mêmes conditions, va sûrement raviver ma mémoire sélective.

Mais non, rien ! C'est le néant quand enfin, je descends de ce véhicule surpeuplé d'usagers particulièrement blasés dès le matin. J'observe le bus s'éloigner puis je balaye la rue d'un regard inquisiteur à la recherche d'un quelconque indice. Éventuellement, un trou dans le sol qui m'aurait fait perdre l'équilibre ou ai-je glissé sur une plaque de graisse ? Là encore, rien ! Le sol est propre et en très bon état.

Vaincue par une amnésie de deux heures, je regagne l'amphithéâtre pour assister à cette étonnante conférence tenue presque secrète depuis des semaines. Pour cela, exceptionnellement, certains élèves de la quatrième, cinquième et sixième année, ont été convoqués pour prendre part à cette réunion.

Les rumeurs ont circulé de bouche en oreille, mais rien de très concluant n'en est ressorti pour savoir ce qu'il en résultait. J'attends beaucoup de ce programme, car s'il y reste aussi mystérieux, ce n'est pas par simple hasard. Peut-être qu'il m'aidera à me positionner sur mes incertitudes ; continuer quatre ans pour devenir médecin ou faire encore une année pour valider mon diplôme scientifique afin de devenir chercheur en biologie. Bien que mon cœur se porte sur le second choix, je n'exclus pas le fait d'embrasser la même carrière que ma mère et certainement celle de mon frère.

Cependant, aujourd'hui semble spécial, comme s'il fallait se démarquer des autres. C'est pour cela que je snobe la place libre auprès de mon frère et de Matt qui sont aussi conviés pour m'asseoir au-devant de la scène au côté de Livia qui peine à arriver.

Dans l'attente, je lis cette feuille de confidentialité qui est posée sur chaque pupitre. Il est écrit qu'en signant ce document officiel, je m'engage à ne divulguer aucun élément dit lors de cette réunion sous peine de lourdes sanctions. Autour de moi, les chuchotis vont bon train sur cette note peu conventionnelle. Mille questions tourmentent mon esprit quand j'observe Monsieur Fergusson dans l'espoir de comprendre à quelle sauce nous allons être mangés. Mon professeur reste impassible, las d'une trop longue carrière.

Ce vieil homme rongé par le poids des années est devenu un grand ponte dans le domaine des sciences, je me demande bien s'il a une vie après son travail. Quand tout à coup, je ressens ce fourmillement caractéristique qui donne le sentiment d'être observé. Celui qui étouffe et qui met mal à l'aise.

Je regarde tout autour de moi pour trouver la cause de ce qui m'oppresse. Peu à peu les gens semblent se disperser dans une pièce beaucoup trop grande jusqu'à disparaître de mon champ de vision afin de me laisser seule... non, avec Lui. Réel ou irréel ? Invisible... non, visible ! Les bras croisés sur sa poitrine, les fesses posées sur le bureau central, l'inconnu de mes rêves se dévoile enfin en totalité.

Beau comme je me l'imaginais ! Une peau laiteuse qui englobe un visage étranger d'un pays différent du mien. Ses yeux qui monopolisent toute mon attention, m'empêchent de détailler à loisir le reste. Alors, je m'oublie, j'oublie tout, le lieu, les gens, le contexte, juste pour me perdre dans ses yeux de geai. Son regard électrisant s'intensifie quand il le balade sur l'ensemble de mon corps. Un goût spécifique se dépose alors sur mes lèvres, comme si je mâchais un chewing gum à la chlorophylle. De façon inexpliquée, un voile se crée autour de mes yeux, formant un halo vaporeux entre nous deux. Si chaud, j'ai...

— Andy, tu m'entends ?

Surgie de nulle part, Livia se matérialise devant moi en claquant ses doigts sous mon nez. En une fraction de seconde, elle vient de rompre ce lien qui nous unissait mon bel inconnu et moi. Alors instinctivement, je regarde par-dessus son épaule dans l'espoir de renouer ce fil d'Ariane.