Chapitre 8 : La légende du Crâne d'Argent

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Ce soir-là, grâce à l'intervention de Leslier, l'ambiance qui aurait pu être funèbre tourna au contraire à la célébration. Sitôt le groupe rentré, l'Arcadie fut fermé au public pour cause de fête impromptue, et tous les membres du gang de contrebandiers se réunirent pour écouter le récit insensé de leur fuite :

⎯ Et là, auge, l'alarme se déclenche ! racontait en braillant l'un des Porteurs du groupe.

⎯ Mais pas que dans la casa, dans tout le fucking quartier ! renchérit un autre.

⎯ J'avais jamais vu so many Protecteurs ! ajouta l'autre Veilleur.

Jusqu'ici, Leslier n'avait jamais été en présence de la totalité des membres du gang – il n'avait été confronté qu'à des sous-groupes isolés en fonction des circonstances. Mais ce soir, pour la première fois, il mesurait l'étendue de ce qu'il essayait de rejoindre : la salle était pleine à craquer, gonflée du volume d'au moins une cinquantaine de voyous en train de trinquer à la liqueur d'algue. Le jeune fugitif fut également surpris par l'âge des autres membres du groupe : comme on le traitait de gamin à tout bout de champ, il s'était imaginé être le plus jeune à rejoindre la bande ; il constata au contraire qu'il faisait presque partie des membres les plus âgés. Les plus jeunes devaient avoir à peine plus de dix ans – ce qui ne les empêchait pas de boire tout autant que leurs aînés, si ce n'était plus. Ces adolescents n'avaient probablement pas de responsabilités cruciales au sein de la bande, mais il y avait tout de même une certaine gravité sur leurs visages, une expérience douloureuse dont des enfants de leur âge n'auraient pas dû être témoins ; et l'envie de noyer la souffrance par tous les moyens qui allaient avec...

⎯ Alors on se dit, estamos jodidos, pas moyen de rentrer...

⎯ Et là, t'as le Vageux, qui tranquilo nous dit de le suivre, like nothing happened...

⎯ Et il nous emmène where ? Dans un fucking ascenseur !!

That's right, on est montés dans un fucking ascenseur bitch, comme les Vageux !!

La foule se mit à hurler – ou plutôt à beugler avec des sons plus imaginatifs les uns que les autres. Leslier aurait bien aimé se mettre à l'écart pour ne pas se faire éclabousser par la liqueur jaillissant des verres trop pleins et trop enthousiastes ; malheureusement, il avait été décrété héros de la soirée, et on l'exhibait sur une table en hauteur pour que personne ne le perde du regard. Il avait l'impression d'être une bête de foire, mais pas forcément dans le mauvais sens du terme : pour une fois, l'attention qu'on lui portait ne semblait ni négative ou hostile ; était-ce si mal d'apprécier tous ces vivats qu'il n'avait pas vraiment mérités ? Même à la Surface – surtout à la Surface – il n'avait jamais participé à une telle débauche de joie et de compliments... Les accolades fusaient de toutes les directions – à tel point que Leslier se demanda s'il n'aurait pas des bleus aux épaules le lendemain – et on ne cessait de lui proposer des verres qu'il acceptait poliment avant de les mettre de côté.

Mais il aurait eu tort de croire que tout le monde dans la pièce partageait cette vague d'euphorie. Si la foule était majoritairement conquise, il n'en restait pas moins des sous-groupes plus détachés et circonspects. Leslier se méfiait tout particulièrement de Ray, le géant dont il avait déboîté l'épaule lors de sa première visite à l'Arcadie, puis qu'il avait remplacé au cours de cette mission. Le véritable Veilleur était assis à une table au fond de la salle, le bras en écharpe dans une attelle de fortune, et le fixait d'un air mauvais qui ne présageait rien de bon... Leslier déglutit : il n'avait pas peur de la force physique de Ray, car il l'avait déjà affronté, et le combat avait tourné en sa faveur ; en revanche, il s'inquiétait beaucoup plus du cercle de voyous renfrognés entourant le Veilleur... Ce dernier semblait avoir de l'influence, et risquait de s'en servir pour nuire au jeune homme. Mais ce qui lui faisait encore plus peur, c'était qu'il n'arrivait pas à savoir ce que pensaient Arcade ou le Crâne d'Argent. Le barman supervisait la distribution d'alcool, se servant habilement de son affairement pour ne pas regarder dans la direction de Leslier ; l'imposante cheffe de la bande était quant à elle assise sur une chaise haute près du bar, en train de savourer une cigarette tout en fixant Leslier d'un air interrogateur parfaitement neutre. Maintenant que tout le gang était réuni, il était clair que c'était la seule femme présente. Le jeune homme déglutit à nouveau ; à quoi pouvait-elle bien penser ? Après tout, cette mission était censée déterminer s'il pouvait rejoindre le gang ou non ; c'était son verdict à elle, et non celui de la foule, qui comptait le plus...

La Cité des MesmersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant