Chapitre 3 : Le barman

136 21 184
                                    


Leslier arriva à destination, comme le lui confirmèrent d'immenses néons formant le mot « Arcadie » ; ils clignotaient sur les flancs d'un bâtiment un peu plus vaste et moins miteux que les autres. Le jeune homme fut surpris par ce nom : les propriétaires connaissaient-ils sa signification ? Ce n'était pas un mot banal qu'on entendait au détour de n'importe quelle conversation dans les Profondeurs. La plupart des bars avaient plutôt des noms en rapport avec leur fonction, du type La bonne liqueur ou Le réveil des morts ; et ça, c'était quand ils avaient le luxe d'avoir un nom, et pas juste un dessin à la va-vite comme seule enseigne... Pourtant, aucun doute sur le fait que le bâtiment en face de lui en était bien un : les vapeurs d'alcool saturaient l'air dans les rues alentours, dominant pour un temps les relents d'algue, et la population traînant dans les parages était moins que recommandable. Leslier pouvait presque entendre la supplique silencieuse de ceux qui entraient dans les bars alentours pour se saouler, tandis qu'ils croisaient ceux dont la prière avait été exaucée et dont toute lueur d'intelligence avait quitté les yeux.

Leslier fut soudain inquiété par trois adolescents stationnant devant la porte d'entrée de l'Arcadie. Contrairement à la plupart des clients, ils ne semblaient pas alcoolisés, ni même intéressés par le breuvage magique. En revanche, ils n'avaient clairement pas l'air décidé à bouger : ils se contentaient de rester là en ricanant, se moquant des passants titubants qui se cognaient dans les tôles de métal alentours. Leslier eut instinctivement envie de reculer, mais savait qu'il n'avait pas le choix : il devait prouver à Othello qu'il méritait de rester dans son logement actuel. Et d'après le tenancier farceur, il lui suffisait de prononcer le nom du logeur pour qu'on le laisse passer. Enfin, si justement il n'avait pas décidé de lui jouer un de ses fameux tours... Leslier décida de lui faire confiance en désespoir de cause, et s'avança vers les portes du bar :

⎯ Excusez-moi, je..., bafouilla-t-il sous le coup du stress.

Look at that ! s'exclama aussitôt l'un des trois obstacles.

⎯ C'est qui ce gringo qui se la joue ? abonda le second.

⎯ On est closed pour una hora, so back-off, expliqua le troisième.

Au moins, Leslier savait désormais de quoi il retournait : le bar était temporairement fermé... Et les trois sales gosses postés devant servaient de videurs pour tenir les alcooliques à distance. Une heure... Qu'allait donc bien pouvoir faire le jeune homme pendant une heure entière ? Il était hors de question de traîner dans un quartier aussi malfamé en attendant ; il était cependant tout aussi hors de question de rentrer sans son prochain loyer, sinon Othello risquait de perdre patience et confiance en lui. Leslier soupira ; il allait devoir insister, leur faire comprendre qu'il n'était pas là pour la boisson :

⎯ Je dois parler au barman. Je viens de la part d'Othello, précisa-t-il.

Sauf que le supposé sésame n'eut pas l'air de fonctionner : il continua à lire la bêtise la plus crasse dans les yeux des petites frappes en face de lui. Pire encore, ils s'échangèrent des coups de coude, et éclatèrent d'un rire gras et rauque.

⎯ Le logeur... des Profondeurs..., tenta de continuer Leslier.

⎯ T'as pas compris where you're going, little shit ?

⎯ Au barman, rien que ça !

Qué quieres à Arcade, toi ?

⎯ Et quién es ce Othello guy ?

Somos not good enough pour toi, pretty boy ?

Leslier comprit qu'il était en train de se fourrer dans un dangereux pétrin : plus il parlait avec les trois voyous, plus ils s'échauffaient et risquaient d'attirer l'attention sur eux. Une attention non désirée et encore moins désirable... Le jeune homme aurait mieux fait de décamper et d'attendre patiemment. Il s'apprêtait à se détourner – en espérant que les trois vauriens ne le suivent pas – quand il entendit la porte du bar s'ouvrir. Un nouveau videur se joignit à eux, beaucoup plus grand, large d'épaule, et en conséquence intimidant. Leslier leva les yeux mais ne parvint pas à croiser son regard, perdu tout en haut de cette montagne de muscles. Il eut peur qu'il ait spécifiquement été envoyé pour le convaincre de s'éloigner ; mais au contraire, le colosse se retourna contre les trois videurs et leur décocha une tape peu amicale :

La Cité des MesmersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant