La Cité des Mesmers

Chapitre 4 : Le Crâne d'Argent

Quand Othello avait mentionné ce nom, le Crâne d'Argent, Leslier avait supposé qu'il s'agissait d'un surnom destiné à impressionner le premier venu. Mais jamais il n'aurait imaginé que cela puisse être la description littérale d'une personne. Désormais, il en avait la preuve sous ses yeux : la personne qui venait d'entrer dans la salle principale du bar possédait en effet un crâne argenté. Ou plus exactement, c'était la moitié droite de son crâne qui reflétait à la perfection l'air apeuré du jeune homme : le métal lisse recouvrait tout le cuir chevelu, et descendait jusqu'à la mâchoire en incluant l'œil ; l'autre moitié du crâne était rasée de près, ne laissant apparaître que des touffes de cheveux noirs. La partie métallique ne semblait pas être un simple ornement décoratif, car Leslier ne parvenait pas à distinguer la frontière entre la peau et l'argent qui épousait à la perfection le moindre contour du visage. Ce qui signifiait que c'était un artefact technologique très avancé.

Othello avait dit que la personne dénommée Crâne d'Argent était le chef du barman. Était-ce donc cette personne qui possédait réellement l'établissement, ou qui exerçait un contrôle encore plus vaste ? Outre le crâne de métal perturbant, Leslier fut étonné par son apparence. Sous l'artefact se trouvait une femme qui semblait plutôt jeune ; petite et maigre, elle avait l'air malade et terriblement fragile. Elle avait également la peau sombre – pas autant que celle d'Othello, mais clairement plus que celle du barman – ce qui semblait indiquer qu'elle n'était pas née dans les Profondeurs. Et pourtant, dès que Leslier croisa son regard, il sut qu'il n'y avait rien de fragile chez cette femme. Son unique œil braqué sur lui dégageait une maturité et une autorité qui le clouaient sur place encore plus sûrement que les couteaux d'Arcade. C'était le regard de quelqu'un qui avait vu le pire et lui avait imposé sa volonté ; un regard que Leslier n'avait jusqu'ici vu que dans les yeux de sa mère...

Le Crâne d'Argent se contenta d'un haussement de sourcil en direction du barman pour demander des explications. Arcade soupira :

⎯ Désolé, Boss, c'est un des protégés d'Othello qui fait des siennes...

⎯ Othello... Pourquoi je suis pas surprise...

Elle avait une voix douce et chaude qui contrastait avec la dureté de son attitude, mais qui ne la rendait pas moins intimidante pour autant. Elle dirigea ensuite son regard sur le colosse à l'épaule disloquée, qui baissa la tête de honte.

⎯ C'est lui qui a mis Ray à terre ? demanda-t-elle à l'assemblée.

⎯ Two seconds ago, sí, Boss, répondit l'une des trois petites frappes en lançant un regard mauvais à Leslier.

Le Crâne d'Argent reporta son attention sur le jeune homme, qui ressentit encore plus l'envie d'être n'importe où sauf ici. Elle ne le fixa pas dans les yeux, semblant plutôt l'évaluer de la tête aux pieds, lentement mais avec un œil connaisseur. Une fois qu'elle eut terminé son examen, elle se tourna de nouveau vers les gamins entourant Leslier.

⎯ Alors qu'est-ce que vous foutez tous figés là ? Vous connaissez le protocole, get going.

⎯ Oui, Boss, répondirent-ils tous à l'unisson.

L'un d'eux resta aux côtés de Leslier pour le surveiller, tandis que les autres allaient verrouiller les différentes issues : portes, fenêtres, trappes, le moindre battant y passa ; même le dénommé Ray, si mal en point, fit de son mieux pour exécuter les ordres. Le jeune captif fut libéré du couteau, mais aussitôt saisi et amené devant le Crâne d'Argent. La cheffe de la bande avait dégainé un tabouret du bar et s'était assise dessus, l'air fatigué mais régalien. Elle avait beau faire une bonne tête de moins que lui, Leslier se sentait écrasé par le poids de son regard noir hypnotique. Elle continua de le toiser, puis soupira finalement d'un air las :