Leslier opina du chef face à ces encouragements bienvenus, et continua d'avancer jusqu'aux cellules contenant les Mesmers. Il savait que ce stockage abritait au moins une centaine de créatures, ce qui n'allait pas lui simplifier la tâche de retrouver son père ... Il avait bien vu un hologramme récent de son géniteur dans le bureau de sa mère, mais il devait bien avouer qu'à ses yeux, tous les aliens se ressemblaient de près ou de loin... Il espérait qu'avec un peu de chance, chaque cellule ne contiendrait qu'un petit groupe de Mesmers qu'il pourrait inspecter au fur et à mesure sans se mettre en danger.
Tandis que ses yeux s'habituaient peu à peu à l'obscurité dense qui régnait au cœur de l'édifice, Leslier découvrit un spectacle auquel il n'aurait jamais pu s'attendre, et qui lui fit enfin comprendre l'importance des douches croisées plus tôt : les Mesmers étaient entassés dans des conditions absolument inhumaines... Avant même que sa vue ne se soit ajustée à la scène, une odeur rance et entêtante vint lui infecter les poumons, manquant à nouveau de le faire vomir. Il se demanda aussitôt comment on pouvait en arriver à un tel niveau de puanteur, et la réponse fut encore plus ignoble que l'exhalaison pestilentielle qui régnait en maîtresse jalouse des lieux : il distinguait des silhouettes décharnées éclairées par leur sang bleu électrique, entièrement nues, en train de chercher désespérément la distance adéquate entre une première fosse remplie de leurs excréments et une autre débordant d'une bouillie infâme et informe. Sans succès... Si on rajoutait à ça l'odeur de la gangrène qui planait en embuscade, relâchée par les plaies infectées des créatures marquées ou pucées sauvagement par une chirurgie se rapprochant de la torture, on arrivait à un tableau qui aurait presque fait passer les pires quartiers des Profondeurs pour des îlots paradisiaques. Leslier en venait quasiment à regretter l'odeur tenace de l'algue...
Le jeune hybride sentit aussitôt fondre toute la peur qu'on l'avait conditionné à éprouver pour les aliens. Personne, ni même aucun animal, ni même aucun objet ne méritait d'être traité avec autant de haine et de mépris... Il sentit comme un élan de compassion en lui, ne demandant qu'à se connecter avec ses êtres avec qui il partageait la moitié de son patrimoine génétique. Il espérait que les Mesmers l'accueilleraient pacifiquement, sentant sa bienveillance ; mais la vérité, c'était que la plupart étaient trop choqués ou occupés avec leur propre douleur pour le remarquer. La tâche de retrouver son père lui semblait cependant toujours aussi titanesque : les Mesmers étaient parqués dans une seule et immense cellule, et la crasse recouvrant leurs corps prostrés rendait difficile leur identification...
Leslier n'eut d'autre choix que de s'approcher encore un peu plus avant. Comme avec les mitrailleuses, les Mesmers les plus proches finirent par sortir de leur torpeur : la majorité s'éloignèrent, apeurés, le prenant sans doute pour un Protecteur venu les chercher ; mais certains se rendirent compte que ses yeux renvoyaient un reflet un peu trop bleuté, et s'approchèrent avec un air interrogateur presque curieux. Le jeune hybride fut presque soulagé de cette prise de conscience, se sentant moins seul dans sa quête. Il découvrit cependant les limites de sa compassion : les Mesmers finirent par braquer sur lui des regards encore plus glaçants que la visée des machines meurtrières. Leslier se savait heureusement immunisé par sa nature d'hybride face aux tentatives de contrôle mental des aliens ; néanmoins, ils étaient toujours capables de pénétrer son esprit.
Et ils ne s'en privèrent pas.
Au début, ce furent juste des frôlements timides, comme ce qu'il avait ressenti chez l'architecte. Un peu comme si on toquait gentiment à la porte de son esprit. Mais bientôt, les effleurements se multiplièrent, toujours plus froids, toujours plus insistants, et de plus en plus profonds, se muant en griffures sournoises qui venaient crisser sur ses méninges. On avait arrêté de toquer, désormais on se ruait sur la porte pour la défoncer à grands coups sourds... Et ce qu'on venait déposer chez lui ne lui plaisait pas, mais alors pas du tout. Les quelques murmures lointains qu'il croyait distinguer se muèrent trop rapidement en des dizaines de voix dans sa tête, l'interpellant, s'interpellant, cherchant à faire sens de tout ce chaos tout en l'augmentant assidûment. Mais les voix n'étaient au fond pas le pire : Leslier finit par percevoir également des images floues, des sons bigarrés, voire des émotions qui ne lui appartenaient pas vraiment mais commençaient à l'influencer. Cette tornade sensorielle aggrava inévitablement son mal de tête, et il dut lutter de nouveau pour que le monde ne s'effondre pas sous ses pieds.
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La Cité des Mesmers
Science FictionJusqu'où iriez-vous pour fuir votre passé ? Suite à une invasion d'extraterrestres aux capacités télépathiques appelés les Mesmers, l'humanité a été obligée de se réfugier dans des cités sous-marines. La distance avec la surface de l'eau détermine...