Chapitre 1 : Pousser la porte

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Londres. Sa brume collante, son parfum nauséabond, son vacarme incessant, sa pluie sale... et tout un panel d'autres immondices que j'avais appris à détester. De la boue — je priai pour que cela ne soit pas autre chose — éclaboussa mon pantalon lorsque la roue de ma carriole glissa dans une rainure entre deux pavés. Un sac de charbon manqua de tomber. Je pestai. Je poussai et manœuvrai pour essayer de dégager la roue sous l'indifférence des passants. La chaussée mériterait quelques travaux. L'Angleterre avait beau être l'empire le plus vaste et le plus riche du monde, l'argent n'atteignait pas les bas-fonds de la capitale. Cela m'étonnerait que les carrosses de la reine Victoria restent coincés dans les pavés.

— Hey ! Petit ! Tu ne vois pas que tu bouches la moitié du chemin ? me hurla le conducteur ventripotent d'une charrette.

Je donnai un coup de pied dans ma roue, autant pour lui signifier que je n'y pouvais pas grand-chose que pour essayer de la faire bouger.

Le râleur choisit de manœuvrer pour me contourner. Ce fut une bonne option, car quelques secondes plus tard, des cris montèrent du bas de la rue.

— Police ! Police !

Les portes et les fenêtres se fermèrent dans d'horribles grincements et raclements, la petite artère se vida. Il ne restait que mon charbon et moi. Des claquements de souliers au pas de course résonnèrent entre les immeubles de pierre. Un vagabond, ou un ivrogne, déboula dans ma direction. Son visage crasseux me lançait un appel désespéré. Il écarta un pan de sa grosse couverture — qui n'avait pas dû être lavée depuis le couronnement de la Reine — et me tendit dix shillings.

— Une livre, si vous m'aidez à me cacher, la moitié maintenant, l'autre moitié s'ils ne me trouvent pas.

Ses mains étaient sales, mais pas assez et surtout, elles étaient bien trop délicates pour ce côté de la ville.

— Une livre tout de suite, une deuxième après, marchandai-je encore éblouie par l'éclat des pièces.

— Je n'ai pas le temps pour négocier.

Deux livres atterrirent dans ma paume. La paye d'une année de livraison de charbon !

— Suivez-moi !

Je l'entrainai vers une petite porte à une cinquantaine de mètres et sortis une clé de ma poche pour la déverrouiller.

— C'est la maison de Mme Smith, précisai-je. Elle n'est pas là, elle travaille. C'est une bonne personne, elle me laisse toujours un bout de pain et un fond de soupe. Alors, ne touchez à rien ou vous aurez affaire à moi.

Je retirai la porte et retournai surveiller mon charbon. Je réfléchissais à une manière de le libérer quand trois agents arrivèrent, inspectant chaque recoin sombre. Celui qui devait être le chef s'approcha de moi, dans son uniforme taché.

— Hey ! Gamin ! Tu as forcément dû voir passer un criminel, dis-moi où il est parti.

Criminel ? Pour nous les enfants des rues, les criminels, c'était la police.

— Je vous le lâche pour dix shillings.

— Et pour dix coups de bâton ? proposa-t-il en posant sa paume sur sa matraque.

Je reculai, prête à décamper.

— Est-ce que vous m'aiderez au moins à décoincer mon chariot ?

L'agent soupira.

Je désignai une ruelle au hasard.

— Il a fui par ici. Il avait une grosse couverture sur lui.

Elisabeth Magpie et les cristaux de lumièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant