Chapitre 3 : Dans la nuit

43 9 31
                                    

Le dense brouillard tamisait la lumière des lampadaires au gaz. Je n'y voyais pas à trois mètres, une nuit parfaite pour s'introduire par effraction sur le lieu d'un crime. Mes vêtements de lin s'imprégnaient de l'humidité ambiante, s'alourdissaient et offraient une voie royale au froid. Ce soir, je gagnerai dix livres et un rhume. Je patientais devant l'entrée du numéro 18, l'oreille tendue vers le moindre bruit, guettant Fellow et priant pour ne pas faire de mauvaises rencontres, quand une main se posa sur mon épaule.

— Je me réjouis de votre présence, Mademoiselle Magpie.

— Fichtre ! Vous m'avez fichu la frousse ! Comment avez-vous pu vous approcher sans que je vous entende ?

Il émit un claquement de langue, comme un professeur devant une question stupide.

— Si je vous révèle tous mes secrets cette nuit, que vous apprendrai-je demain ?

À vous supporter ?

— Votre ami n'était pas noble comme vous. Cette rue reste très modeste.

— En effet. J'ai de nombreuses fois voulu l'aider, mais c'était un homme fier.

Il soupira avec nostalgie.

— Revenons-en à notre expédition. C'est au numéro vingt-trois, au premier étage. Vous allez entrer, vérifier que la voie est libre et si c'est le cas, vous allumerez une chandelle avant de tirer les rideaux.

— Je risque de voir le cadavre, non ?

— Pas si la police a fait son travail.

Je fis la grimace, l'idée de tomber nez à nez avec un mort ne me disait rien.

— Si elle ne l'a pas fait, mon tarif va augmenter... Et si la porte est verrouillée ?

Il ouvrit un pan de son grand manteau noir et révéla une pochette en cuir.

— Je partirai du principe que l'appartement est vide et je me chargerai de la serrure.

— Et si je ne trouve pas de feu, comment j'allume la bougie ?

— Avec ceci, dit-il en me tendant une petite boîte en carton. Ce sont des allumettes suédoises, il suffit de frotter l'extrémité enduite sur le côté de l'étui.

J'imaginai qu'avoir réponse à tout était son passe-temps favori. Prisonnière de mon avidité, je traversai la rue pour rejoindre la porte en bois qu'il avait désignée. Elle avait vu s'écouler de nombreux hivers sans que cela entame la solidité de ses épaisses planches. J'appuyai sur la poignée en fer forgé et à mon grand regret, elle s'ouvrit. Je la poussai en douceur pour limiter le grincement des gonds rouillés.

En face de la porte, un couloir menait à une autre porte. L'escalier qui me permettrait d'atteindre l'appartement du défunt grimpait le long du mur de gauche. Je le gravis avec précaution, une marche qui craque était si vite arrivée. Je me rendis compte que j'allais m'introduire dans un lieu censé être désert sans savoir si quelqu'un vivait en dessous. Fichu Fellow ! Son arrogance était aussi démesurée que les trous dans son plan ! J'ôtai mes souliers trop grands. Mes pieds enroulés dans de multiples bandes de tissu devraient passer inaperçus sur le plancher du palier. Je tendais l'oreille à chacun de mes pas, prête à déguerpir au moindre doute. La prison ne me tentait pas.

J'atteignis la porte. Je m'embrouillai dans mon souhait : valait-elle mieux qu'elle soit verrouillée ou non ? J'approchai la main et, à ma grande surprise, le battant s'ouvrit à cette simple pression. La serrure était fracturée. Par qui ? La réponse m'importait peu tant qu'il n'était plus là. J'entrouvris à peine plus, pour tenter d'avoir vue à l'intérieur. Il ne me semblait pas détecter de mouvement. Je n'avais pas le choix, j'allais devoir m'aventurer dans l'appartement. Qu'est qu'on ne ferait pas pour dix livres ? J'avançai à quatre pattes et passai ma tête dans l'ouverture. La lueur du lampadaire éclairait faiblement la pièce, juste assez pour constater qu'elle était vide de toute vie. Et de tout cadavre. Je soufflai de soulagement et franchis le seuil. Le parquet gémit sous mon poids et je me hâtai de fermer la porte, par prudence.

Elisabeth Magpie et les cristaux de lumièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant