Je pianote sur l'écran tactile de mon téléphone portable, en pleine discussion à distance avec Pablo, mon meilleur ami, resté chez lui à cause d'un bras cassé le matin-même. Il a raté une marche. La première de l'escalier, évidemment. J'aurais aimé voir ça.
Je n'entends qu'à moitié la pionne du collège demander son carnet à un élève de cinquième avant de l'autoriser à sortir, le grondement du moteur du bus et le crissement des pneus d'une voiture conduite par un chauffard. Toute mon attention est concentrée sur les SMS. Aussi je sursaute quand une fille passe à côté de moi et lâche :
- Bonjour Lilian.
- Hein ?
Le temps que j'émerge de ma bulle, elle est déjà partie. D'ailleurs, elle ne s'est pas arrêtée pour me parler. Un instant je me dis que je dois avoir rêvé, pourtant je suis quasiment certain que c'est elle, cette fille-là précisément, qui a dit mon nom. Je la regarde partir avec hésitation avant de la suivre et de la jauger d'un regard.
Assez grande, avec une longue chevelure châtain nouée en queue-de-cheval, un débardeur bleu marine et un short en jean, des boucles d'oreilles en anneaux dorés, des baskets noir et blanche Adidas, des yeux noisettes.Je crois que je l'ai déjà vu, mais je ne me rappelle plus trop. Sa copine non plus ne me dit rien. C'est une fille de la même taille, brune et assez mignonne, je dois le dire, fine et élancée, avec un legging de sport et un débardeur blanc Nike. Elle rit aux éclats à ce que vient de dire l'autre. Je les suis jusqu'au muret, un peu plus haut, qui entoure le parking. Là, je pose mon sac sur la pierre, elles en font autant, un peu plus loin. J'attends. Elles discutent pendant dix bonnes minutes avant qu'une Clio grise n'arrive, et que la copine ne s'en aille en saluant de la main sa compagne.
- Au revoir Lucie ! dit cette dernière avant que la brune ne referme la portière.
La Clio démarre et disparaît au coin de la rue. Je m'approche de la fille et me racle la gorge maladroitement ; résultat : je m'étouffe avec ma salive et me mets à tousser. Elle m'observe avec un sourcil haussé, pas d'inquiétude du tout sur le visage, juste de la déception et de l'agacement.
- Toujours à faire le malin..., grommelle-t-elle.
- On se ...rmf, connaît ? j'articule en hoquetant.
- ...Non. On va dire que non, OK ? tu m'oublie, moi, je dégage, et tout ira bien.
Je fronce les sourcils, mais elle ne s'intéresse déjà plus à moi. C'est elle qui vient de me parler et je dois faire comme si de rien été ? Bizarre cette fille.
Ses yeux sont rivés sur ses ongles rongés avec irritation.- « On va dire que non » ? ça veut dire quoi, ça ? Je proteste. D'où tu connais mon prénom ? et, euh... pourquoi ça n'irai pas si on se connaît ?
Elle soupire et insiste :
- Me parle pas, je t'ai dit.
- T'as qu'à pas me répondre. Alors ?
Elle reste muette. Je lève les yeux au ciel.
- S'te plaît. Je sais que je te connais mais je sais pas d'où, et c'est dérangeant, alors arrête de faire la mystérieuse et dis-moi.- Comment dire...
- Quoi, c'est si compliqué que ça ?
- On ne peut pas en parler ici. Tout ce que je peux te dire, c'est que ce qui nous lie est très complexe. Je ne sais pas comment je pourrais te convaincre mais... Écoute j'ai beaucoup d'informations sur toi, et je sais que ce n'est pas le plus rassurant mais ça va peut-être être le seul moyen pour que tu me crois. Je sais que tu t'appelles Lilian Forester, que tu habites au *** et que ta couleur préférée c'est le gris.
- Quoi ? Mais comment...
- Je sais encore plus de choses sur toi, OK ? donc ne fait pas tout un drame juste pour quelques...
- Tu sais quoi d'autre ? Je demande avec suspicion.
Elle soupire et se lance.
- Ta chanson préférée, c'est Perfect, de Ed Sheeran mais tu fais genre que tu préfères le rap quand tu es avec tes potes, Gabriel – que tu surnomme Gab' ou Tagliatelle – et Simon – auquel tu n'as jamais dit que tu lui avais volé son Playmobil policier. Ton plat préféré, c'est la pizza calzone parce que ta grand-mère t'en a fait une fois quand tu avais six ans et que tu as adoré ça. Tu es sorti avec Emilie Julien en quatrième mais elle t'a lâché parce qu'elle t'a trouvé trop attiré par Noémie, alors que tu ne regardais celle-ci que pour la dessiner ensuite parce que tu aimais bien la couleur de ses yeux. Tu prends des cours de dessin avec Félicie Harkman depuis trois ans, et tu dessines en ce moment-même Catwoman en Steam punk. Ça te suffit ?
Je suis estomaqué. Comment peut-elle savoir tout ça ? On dirait qu'elle...
- Tu es une espionne ? Tu t'infiltre dans la vie privée des gens pour...Oh la vache, tu dévoiles des infos secrètes et après tu t'en sers pour nous soutirer de l'argent et nous...
- Calme-toi, tu es tout bleu. Oui, je connais tout de toi, concède -t-elle, non, ce n'est pas à de mauvaises fins, OK ?
Super convaincant.
- Mais t'es qui bordel ?
- Je m'appelle Natacha, si ça peut te faire plaisir.
Ce nom m'est familier. Une pensée stupide me traverse l'esprit : ça lui va bien, Natacha. Tant mieux pour elle, c'est son prénom. Pendant un long moment, je la dévisage, cherchant dans ma mémoire l'endroit où je l'ai déjà vu, comment et pourquoi, mais lorsqu'un souvenir apparaît, il s'efface comme par magie. Lorsqu'elle m'invite à la suivre, j'accepte sans hésitation, malgré le danger que cela pourrait représenter.
***
Voici le premier chapitre d'une histoire que j'ai commencé à écrire il y a un moment, et que j'avais un peu oublié ...
J'espère que ça vous plaira !
VOUS LISEZ
Unité
Science FictionIls sont huit. Huit adolescents dont l'existence est bouleversé du jour au lendemain par une révélation déchirante. Huit adolescents qui découvrent que tout ce qu'ils connaissaient n'était qu'un rideau masquant la vérité. Huit adolescents entre...