9} Lilian

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Jordan frissonne à ma droite. Visiblement, l'orage ne lui plait pas. Moi, j'aime bien.
Le tonnerre gronde encore une fois, dans un roulement furieux. Je ferme le carnet à dessin où je poursuis ma chère Catwoman de l'ère industrielle – très classe, selon Jordan et Matthieu – et observe par la fenêtre les nuages noirs qui s'amoncellent encore dans le ciel zébré d'éclairs. La pluie tambourine contre les vitres avec une force qui pourrait paraître inquiétante, mais moi elle me fascine. Le bruit du déluge m'apparait comme une mélodie envoûtante, de celles qui nous font rêver. Puis, les grosses gouttes se transforment en grêle, et la foudre traverse encore une fois la masse nuageuse comme une lance dorée. S'ensuit un grognement terrible, comme un cri de guerre, aussi puissant qu'un séisme, qui fait trembler mes compagnons.
Brusquement, je me sens en colère. En colère contre tous ces gens qui me manipulent depuis des années. En colère contre moi-même pour ne pas avoir su découvrir la vérité plus tôt.
La rage commence à déformer mes traits, sans que je sache vraiment pourquoi.

- Euh... Ça va Lilian ? s'inquiète Jordan, en touchant mon bras.

- Quoi ? Ça n'a pas l'air ? je lâche d'un ton sec.

- Eh, calme-toi, fait Matthieu en fronçant les sourcils. Il t'a rien fait.

Je grogne un juron et sors de la pièce en claquant la porte derrière moi. Pourquoi je me sens aussi... aussi... en manque. Il y a comme un vide, là, dans le creux de mon ventre. Un vide comblé par une envie affamée qui bat au rythme de la pluie sur les vitres. Un vide déchirant qui me fait tourner la tête, et me fait souffrir le martyr. Un vide qu'un désir insatiable dévore. C'est comme avoir l'estomac creux, si vous préférez. L'estomac creux et les narines humant le parfum divin du meilleur plat du monde.

- Lilian ?

Je relève la tête vers Natacha. Elle a un mouvement de recul et semble comprendre ce qu'il se passe.

- Ok, va dehors. Grouille-toi.

Je ne réfléchis même pas. Si j'avais été dans un état normal, je lui aurais demandé un ou deux trucs, je l'aurais regardé avec des yeux ronds, mais là, je sais qu'elle a raison. Je dois aller dehors. 
Je me mets à courir vers la porte de sortie. Matthias passe devant moi ; je le pousse si fort qu'il percute le mur d'en face. Quand j'ouvre la porte, tout les membres de mon corps sont secoués de tremblements nerveux. Une bourrasque me fouette en pleine face et je sens mes propres yeux s'écarquiller. Une fois sous la pluie, je me calme. J'inspire profondément, les paupières closes, et sens les cascades d'eau qui s'écoulent sur mon corps ; dans mon dos, sur mes bras, sur mes jambes, sur mon visage. Les éclairs redoublent, le tonnerre rugit encore. Je sens ma colère s'atténuer. Elle retombe paisiblement, alors que toute mon attention est rivée sur la pluie qui se déverse contre ma peau. Les grêlons se liquéfient, et tout cela redevient une simple averse d'été. Tendre, douce, comme une mère qui berce son enfant. Et l'orage s'arrête. Les nuages noirs s'effacent, laissant poindre un soleil timide derrière les volutes blanchâtres qui ont fait leur apparition. 

Le vide dans mon ventre est calmé. Le désir s'est affaibli, et la tension qui mettait mon esprit à rude épreuve s'est relâchée. 

J'ai fait la paix avec moi-même. Avec moi. Le vrai moi.


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⏰ Dernière mise à jour : Feb 19 ⏰

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