7} Antoine

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Avoir recouvert ma mémoire m'a ébranlé. Arris me fiche la paix, se disant peut-être que j'ai besoin de réfléchir en étant seul. Alors je me suis assis sur mon lit, dans le dortoir des garçons, et je n'ai plus bougé depuis la piqûre. Les souvenirs affluent encore dans mon esprit, le moindre détail me revenant avec une précision phénoménale, comme si je venais de le vivre. Je m'étire les jambes et garde les yeux fermés quelques instants, pas vraiment sorti de mes pensées. Quand je les rouvre, je songe que la fin de la journée va être difficile

 - Antoine ?

Je relève la tête, prenant conscience que ça ne doit pas être la première fois que Laura m'adresse la parole. Son front est plissé, par l'inquiétude ou par l'agacement ?

- Mmh ? je fais.

 - Tu veux des tomates farcies ou... 

- Qu... ah oui.

- Combien ? s'impatiente-t-elle, la louche à la main.

Je faillis retomber dans ma bulle, mais j'ai trop peur de me prendre un coup d'ustensile pour y retourner.

- Ben... je sais pas... une pour commencer ?

Elle grommelle quelque chose, qui me semble être « oh super, je vais devoir le resservir » et jette une tomate sans délicatesse dans mon assiette.

En face de moi, Nadège a l'air tendue. Elle fixe Matthias, qui est au téléphone à l'autre bout de la pièce, avec une nervosité surprenante.

C'est alors qu'un type entre dans la salle.

Il doit avoir dix-huit ans, des cheveux noirs en pétard, des yeux gris fer à vous glacer le sang ceinturés par de larges cernes violacés, habillé d'un jogging noir et d'un T-shirt blanc froissé. Il s'appuie de chaque côté de la porte, les bras tendus, se balançant d'un pied sur l'autre en nous observant les uns après les autres avec un mélange de méfiance et de colère.

Matthias lâche brusquement son portable et se rue vers lui. Laura reprend la louche qu'elle vient de lâcher et se dresse entre la table et l'inconnu. Adèle et Natacha partent droit vers Matthias. Arris et Samson restent assis, mais les muscles tendus, visiblement prêts à bondir. Nolan se lève.

Matthias attrape le jeune homme par les épaules et lui chuchote quelques mots à l'oreille. Je vois Nadège blanchir d'un coup. Elle se mord la lèvre.

C'est à ce moment-là que je perds connaissance, et me retrouve en plein flash-back.

Le type est là, assis sur le banc, à côté d'une jeune fille brune qui rit aux éclats. Ils ont l'air heureux. Le gars a passé son bras droit autour des épaules de sa compagne. Je suis en face d'eux, et, sans que je sache pourquoi, mon corps s'active tout seul. Je joue au ballon avec Jordan et Lilian. Mais je me suis arrêté et je fixe le duo.

Leurs noms me viennent aussitôt : Angélique et Hugo. Ce dernier dévore la fille des yeux. À son regard plein d'affection, je devine qu'il est fou amoureux d'elle.

Changement de scène. Je suis en train de parler avec Angélique, à l'arrière de la base, appuyé contre le mur gris.

- ...pas ! elle est complètement dingue, celle-là ! Je n'arrive même pas à me dire qu'elle a osé... elle me ... aarhg ! s'écrie mon amie.

- Contentes-toi de l'ignorer, je lui conseille. Ça sera mieux. Se bouffer le nez H24, c'est fatiguant à force, et elle vaut pas la peine que tu passes ton temps à ruminer ça.

- T'as raison, acquiesce –t-elle. Elle n'a pas intérêt à...

- Ang' ! rugit Hugo en débarquant brusquement. Tu es là !

Il me fusille du regard, et reprend, haletant :

- Ça fait une heure que je te cherche ! qu'est-ce que tu fiches ici ?

- Je ... discute ? lâche-t-elle, en haussant un sourcil.

Il ouvre la bouche, mais quand il parle, c'est avec la voix d'Arris :

- Antoine ! Antoine, réveille-toi !

J'ouvre brusquement les yeux. Le visage d'Arris se superpose pendant quelque seconde à celui d'Hugo, puis j'y vois net. Le plafond de la salle à manger en face de moi. OK. Je me redresse, aie le tournis un petit moment, et remarque les regards des autres sur moi.

 - Ça va ? demande mon Aide.

- Je... oui...

- Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? questionne Matthias d'un ton dur.

- Je sais pas... quand j'ai vu le visage d'Hugo je...

- Hugo ? répète Edith. C'est... oh mais oui ! Hugo !

- Hugo et Ange..., renchérit Sarah en se rappelant d'eux. Mais qu'est-ce qui leur est arrivé ? interroge-t-elle en se tournant vers Nolan.

La tristesse se peint sur les expressions des Aides. Je frissonne. Ça n'annonce rien de bon...

- On... asseyez-vous, ordonne Matthias. Asseyez-vous, allez.

Nous obtempérons. Je vois que Hugo n'est plus là, je me demande ce qui s'est passé.

- Hum. Angélique et Hugo étaient comme vous, commence le jeune homme, une ...particulière et son aide. Sauf que... comme vous, Angélique a été relâchée il y a trois ans et...

- Nolan ! glapit subitement Michaela. Tu m'as dit... tu m'as dit qu'elle...

- Oui, je sais. Tais-toi, s'il te plaît, murmure son compagnon, les yeux humides. Tais-toi.

- ... c'est-à-dire que... Angélique a été... elle est... bref, vous avez compris, marmonne Matthias, les yeux baissés. Sauf que... suite à son, euh, accident, elle n'est pas morte. Elle a été mené en hôpital, et ils ont failli découvrir sa non-humanité. Nous l'avons extirpé de là à temps. On a failli la soigner, elle allait mieux, mais elle a fait une rechute et elle est... partie. Un peu avant, elle et Hugo ont fait des transfusions de sang. Ils ne nous l'ont pas dit. Hugo a hérité donc du sang d'Angélique et a développé sa capacité... mais ce n'était pas fait de manière, euh... correcte, on va dire, Hugo a commencé à aller de moins en moins bien. Surtout qu'il était brisé par la mort d'Angélique, vous comprenez... Maintenant, il va mieux, mais je crois qu'il n'aurait pas aimé vous revoir, en fait.


Nous gardons tous le silence. Que dire, après cette nouvelle ? Les souvenirs avec Angélique assaillissent mon cerveau, désormais, et je me rappelle qu'elle était une excellente amie. Une fille au cœur d'or, super gentille, généreuse, intelligente. Certes, avec son petit caractère mais... nous avions été très proches. Je l'aimais beaucoup. Je ne peux imaginer la souffrance d'Hugo.

Allongé dans mon lit, je me demande brusquement ce qu'était la capacité d'Angélique. Et la mienne, c'est quoi ? je ne saurais pas le dire.

UnitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant