Je prends une serviette dans le placard de la salle de bain pour me sécher les cheveux et grimace. Avec mes boucles abominables, je vais avoir besoin d’au moins une demi-heure pour avoir une tête moins trempée ! je pense que je vais vite réclamer un sèche-cheveux aux gérants de cette base, parce que je ne vais pas tenir longtemps comme ça. J’entends déjà Sarah me dire « Tu as qu’à ne pas te laver les cheveux tous les jours, deux fois par semaine, c’est suffisant ! » mais comme d’habitude, je lui répliquerai qu’elle n’est pas un modèle de beauté.
Comme à mon habitude, tout en séchant ma chevelure emmêlée, je sens l’envie de chanter. Je réfléchis à une de mes chansons préférées, et choisis Trop de temps de SARA’H (encore quelque chose pour me faire penser à cette fille démodée ou quoi ?!). Je me sens vite emballée et emportée par cette musique que j’adore.Un oiseau percute la vitre de la petite fenêtre. Je sursaute, me retourne sans m’arrêter de chanter – on interrompt jamais de tel instant ! – et me rend compte que le volatile s’est redressé et m’observe avec curiosité. On se calme ma vieille, tu n’es pas Blanche-Neige, tu ne chantes pas pour appeler les animaux, tu ne danses pas dans la forêt entourée de petits lapins, de moineaux et de faons bondissants… Hâte de voir la tête de mes sept nains. La mésange – car s’en est une – s’éloigne à tire d’aile, ce qui me soulage un peu. J’arrête de chanter, pose la serviette sur l’étendoir et sors de la salle de bain, ma brosse à cheveux à la main, troublée.
Nadège est en pleine conversation avec Sarah et Michaela. Visiblement, c’est passionnant, car elles ne s’arrêtent pas quand j’entre. Pas un coup d’œil, rien, c’en est presque vexant.
- … trop cool ! s’exclame Sarah (vraiment aucun style, cette fille…). Je me demande ce que c’est, le mien.
- Pareil, appuie Michaela. Et en même temps, ça me fait un peu peur…
- C’est bizarre, on devrait s’en souvenir, non ? remarque Nadège. On le savait certainement avant, pourtant je ne me rappelle pas…
- Peut-être que tout n’est pas encore revenu, suggère Sarah. Je ne me souvenais pas d’Hugo et Angélique avant qu’Antoine nous en parle alors ça doit être le même procédé. Il faut un élément déclencheur, ou alors qu’on le redécouvre.
- De quoi vous parlez ? je m’immisce.
- De nos capacités, répond Nadège à toutes vitesses en glissant sa mèche rose derrière son oreille.
Je sens la panique monter en moi. Et si… et si il y avait un lien entre mon pouvoir et l’oiseau qui avait percuté la vitre ? Le pouvoir de faire s’écraser des mésanges contre des fenêtres ? Super. Me voilà ennemi juré des mésanges.
- Ah.
Je me dirige vers mon lit sans un mot, et commence la rude tâche de me peigner. Après m’être tordu le poignet trois fois, je pousse un grondement de colère et Nadège me demande si je veux de l’aide. J’accepte et les rejoins.
- Tu aimes faire quoi dans la vie ? s’enquiert Michaela. Enfin, je veux dire… quelque chose qui t’attire, qui te passionne…
; Te regarder dans le miroir, sûrement, mais est-ce qu’il y a autre chose ? ajoute Sarah.
Je la foudroie du regard et réponds :
- Chanter.
- Chanter ? vraiment ? s’étonne Nadège en tirant d’un coup sec sur une mèche.
- Aïïïe…, je m’écrie.
- Ah oui, tu aimes chanter, lâche Sarah.
- Tu nous chantes quelque chose ? propose Michaela.
Je repense à l’incident de la salle de bain. Est-ce qu’un autre oiseau va se cogner contre les murs ou bien ?
A peine ai-je commencé que les filles me regardent d’un drôle d’air. Sarah fronce les sourcils et souffle quelque chose. Je ne m’interromps pas, bien décidée à découvrir si mon pouvoir réside dans ma façon de chanter. J’en arrive au refrain quand je remarque que si je me concentre sur une certaine émotion, la pièce change… Je plisse les yeux et tente de chanter avec colère. La porte de l’armoire de Michaela s’ouvre brusquement, tous ses vêtements se déversent parterre. Le lit de Nadège se défait, ses draps s’envolent et retombent eux aussi sur le sol. Je me tais. Le petit manège des objets cessent aussitôt.
- Waouh, échappe Michaela. C’est… impressionnant.
- Ton pouvoir est donc lié à ta voix, en déduit Nadège, médusée. C’est… trop bien !
- Vox¸ annonce quelqu’un depuis la porte du dortoir.
Je me retourne vivement. Matthias m’observe avec une lueur étrange dans les yeux – elle semble mêler fierté, affection, peur et admiration. Je me garderais bien de le lui dire.
- Ta capacité s’appelle vox, explique-t-il. « voix » en latin. C’est ton arme. Tu peux faire plein de choses avec, en fonction de la volonté de départ et de l’intonation.Je déglutis. Oui… ça y est, ça me revient. J’arrivais autrefois à envoûter des gens rien qu’en chantant. Un pouvoir terrible. Je pouvais aussi charmer des animaux ou des objets, exercer la volonté sur eux… Briser, frapper, faire voler, manipuler. J’ai le tournis à l’idée de cette puissance. Je ne suis pas humaine. J’ai des capacités paranormales. Bon sang, quelle horreur. Je me lève, passe devant Matthias et sors.
Inspirer l’air frais de l’extérieur me fait le plus grand bien. Le vent agite les branches des quelques arbres alentours. Je m’assois dans l’herbe et ferme les yeux. Je sais que je vais avoir besoin de temps pour assimiler toutes ces informations.
Un bruit de pas derrière moi. Matthias…- Tu vas t’y refaire. Tu arrivais à le contrôler, il y a peu, ça va revenir, glisse-t-il en s’asseyant à ma droite.
- Il y a trois ans, je réplique, la gorge nouée.
- Tu le maîtrisais parfaitement. Il faisait partie de toi. Ça ne s’oublie pas. C’est comme apprendre à faire du vélo. Une fois que tu l’as appris une fois, les fois suivantes, même si ça fait longtemps, ça revient tout seul.
- Je ne sais même pas faire de vélo.
- C’est une image.
Il arrache un brin d’herbe et l’observe avec attention, comme si c’est la chose la plus fascinante qui existe.
- Pourquoi vous ne nous avez pas dit ce qu'étaient nos capacités ?
- On ne tenait pas à … on voulait que vous les redécouvriez par vous-même.
- Est-ce que je dois le dire aux autres ?
- Les filles sont au courant, l’info va vite circuler sans que tu aies besoin d’ouvrir la bouche. Epargne ta salive, ça fera pareil.
Effectivement, le soir, c’est un groupe de fans qui me harcèlent en quête de réponses. Tout le monde se presse et m’interroge sur ce que ça m’a fait. Parfois, j’aime bien être la fille populaire et la star, d’être le cœur des attentions, mais là… ras la casquette. Je finis par quitter la salle et aller me coucher en hurlant que je ne suis pas un phénomène de foire.
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Ciencia FicciónIls sont huit. Huit adolescents dont l'existence est bouleversé du jour au lendemain par une révélation déchirante. Huit adolescents qui découvrent que tout ce qu'ils connaissaient n'était qu'un rideau masquant la vérité. Huit adolescents entre...