Angélique

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2021. Concours. Développement envisagé.
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Comme chaque matin avant de partir pour l'étude de notaire où il travaillait, Albert regarda une dernière fois le pot de fleurs posé à côté du vase blanc placé sur le rebord intérieur de la fenêtre depuis son emménagement, essayant de trouver un peu de courage dans la grappe bleue fanée des jacinthes. Cette fois, il y arriverait. Il prit sa sacoche et enfourcha la bicyclette qui l’attendait en bas du petit appartement qu’il louait. Il avait eu de la chance de trouver une chambre au loyer tout à fait correct chez cette vieille dame. 

Il s’arrêta devant la fleuristerie qu’il connaissait désormais très bien et prit quelques instants pour observer la jeune femme aux boucles blond platine qui s’affairait derrière le comptoir. 

Il s’était d’abord rendu là sur les conseils de sa logeuse, en remarquant le nouveau bouquet qui décorait son séjour chaque semaine, puis était tombé sous le charme en apercevant cette fille au regard aussi vert que les plantes qu’elle vendait. Sauf qu’il avait longtemps hésité devant cette boutique, s’y arrêtant maintes fois en allant et rentrant du travail, n’osant jamais franchir la porte. Comment l’aborder ? 

Il avait, au bout de plusieurs semaines, enfin eu le courage de faire retentir le carillon et s’était alors trouvé totalement démuni en entendant sa voix cristalline pour la première fois. Il l'avait été encore plus en réalisant que c’était totalement stupide de lui acheter des fleurs pour les lui offrir. Il était pourtant entré et n’avait plus d'autre choix que de lui prendre un bouquet. Il lui avait donc expliqué avec force bredouillements et sueur : “Il y a une personne que j’aime bien…  elle est très belle… elle sourit à tout le monde… et elle travaille dur… A chaque fois que je l'aperçois, je ne peux pas m’empêcher de la regarder… Mais je ne sais pas comment l’aborder…” Encore maintenant, il se morigénait pour cette approche franchement pataude. Malgré cela, elle avait souri à ses explications maladroites et enveloppé avec dextérité un mélange d’iris blancs et de roses violettes dans un papier assorti. C’était ainsi qu’il avait rejoint la clientèle d’Angélique. Il était ensuite ressorti de la boutique tout penaud et avait accroché le bouquet inutile à son sac le temps de se rendre à l'étude. 

Il avait retenté l’expérience la semaine suivante en se promettant d’être plus direct mais était finalement ressorti avec des camélias rouges qui avaient remplacé le précédent bouquet dans le vase qu’il avait acheté exprès en rentrant de sa première tentative infructueuse. Il avait donc recommencé la semaine d’après, avec des adoxes musquées dont l’odeur avait empli ses narines à chaque repas jusqu’à ce qu’il les remplace par des acanthes la semaine suivante. En lui donnant son bouquet de jacinthes, elle avait paru désolée pour lui que toutes ses approches se soldent par un échec, sans savoir qu’elle en était la cause. Aucun doute qu’elle l’avait désormais identifié comme le client gauche et malchanceux. En même temps, pouvait-il lui en vouloir de ne pas comprendre que les fleurs qu’elle lui recommandait étaient en fait pour elle ? 

Albert secoua la tête un bon coup pour se sortir de ses pensées et poussa la porte avec résolution après avoir pris une grande inspiration. Aujourd’hui était le dernier bouquet qu’il achèterait pour rien. C’est pour cela qu’en rentrant de l'étude de notaire le soir-même, il ne passa non pas devant la fleuristerie mais fit un détour par la libraire et acheta le seul ouvrage proposé sur le langage des fleurs. La prochaine fois, il prendrait les devants. Fort de cette décision, il remplaça les jacinthes fatiguées par des azalées flamboyantes aussitôt rentré, et se plongea dans une lecture assidue pour trouver le bouquet parfait. 

C'est ainsi qu'Albert fit de nouveau sonner le carillon de la boutique le mardi suivant, armé d'une forte détermination. 

– Oh, Albert ! Alors ? Comment ça s'est passé ? salua Angélique avec son habituel sourire. 

–  J’espère bien y arriver aujourd’hui ! 

– Oh ? J’ai des hortensias qui ont éclos hier si tu veux, elles sont magnifiques…

– Non. Je voudrais un bouquet d’angéliques aujourd’hui. 

La fleuriste se figea et haussa les sourcils à la demande mais attrapa vite un sécateur comme si de rien n' était. 

– Attends-moi ici, je vais les chercher. 

– Non, attends ! En fait… 

Il se gratta l’arrière de la nuque et regarda brièvement le bout de ses chaussures avant de relever les yeux vers elle.

– En fait… Je voudrais les prendre ce soir cette fois. 

– D’accord, je te les mettrais de côté, promit Angélique, son air surpris remplacé par un sourire. Tu payes en les récupérant ?

– Oui. A quelle heure est-ce que tu finis ?

– Je ferme à dix-neuf heures. 

– Merci beaucoup, à ce soir !

– Bonne journée !

Ce n’est que cinq minutes avant la fermeture qu’Albert se présenta à la fleuristerie, tout sourire. 

– J’ai cru que tu avais oublié ! lança gaiement Angélique pour l'accueillir. Voilà ton bouquet. 

Il la remercia et déposa en échange des billets sur le comptoir. 

– Tu peux garder la monnaie. 

– C’est gentil ! J’espère que ça fonctionnera !

– Moi aussi ! avoua-t-il en sortant de la boutique. 

En ressortant, il ne prit pas sa bicyclette comme d’habitude mais attendit devant la vitrine, ses fleurs d’angélique à la main. La fleuriste ne ressortit qu’un quart d’heure après et sursauta en l’apercevant. 

– Albert ! Et ton rendez-vous ?

– Je l’attendais justement, sourit-il en lui présentant le bouquet. Depuis que je t’ai vue, j’essaie de trouver le courage de t’aborder pour te le demander : est-ce que tu voudrais m’accorder un rendez-vous, un jour ?

– Eh bien, j’avoue que c’est une approche très maladroite, mais… C’est d’accord, accepta Angélique en prenant les fleurs, son air surpris dissipé par les commissures de ses lèvres qui remontaient et ses yeux qui se plissaient. Justement je ne fais rien ce soir. Je t'offre le restaurant en échange de tous ces bouquets ?

– Je… je veux bien ! s’exclama Albert sans y croire, sentant son coeur s’envoler dans sa poitrine. 

– Alors retrouve-moi au bistrot du cheval blanc dans vingt minutes, indiqua-t-elle avec un clin d'œil et son adorable sourire avant de filer chez elle. 

Albert resta quant à lui figé sur place quelques instants de plus à contempler l’endroit qu’elle venait de quitter, ses pensées défilant à toute allure dans sa tête tandis qu’une chaleur se répandait dans son ventre. Ce n’était pas possible. Il avait réussi ! Il avait enfin réussi ! Mais était-ce la fin ou seulement le début de ses galères ? En tout cas une chose était sûre, il n’avait plus besoin d’être son client régulier maintenant.
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Si vous avez aimé, sachez que je prépare une histoire autour du personnage d'Angélique, que je publierai si j'arrive à en faire ce que je veux.

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