Chapitre 5 : Du sang sur les mains

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CARDEN

Le sang n'a jamais provoqué en moi une réaction. La première fois que j'ai vu un cadavre ce sont ses yeux exorbités dont j'ai eu peur, pas de la trainée de sang qui s'échappait alors que le corps était en train de se faire trainer sur le sol. Pourtant, en voyant tout ce liquide rouge dégueulasse qui macule mon haut, je ressens quelques frissons. Ce n'est pas la peur de mourir, ni de souffrir, mais plutôt celle de craindre ne pas pouvoir mener mon projet à terme. A côté de moi, Morana semble être à deux doigts de chialer. Au sol, je détourne le regard et arrache un morceau de mon tee-shirt pour compresser la plaie béante dans mon abdomen.

Je pourrais avoir peur. Je pourrais me dire que c'est fini pour moi. Je pourrais me mettre à chialer à cause de la douleur. Je pourrais vouloir fuir à toutes jambes d'ici. Je pourrais vouloir tout ça, mais je ne suis pas un faible. J'ai été éduqué – ou plutôt forcé à coups de menaces – à ne pas avoir peur, à ne jamais craindre ou laisser la douleur l'emporter sur moi. Ce n'est qu'un corps. Le corps se répare, le corps se reconstruit. Il suffit d'enlever la balle, de coudre, et tout ira bien. Je sais que je ne vais pas mourir.

Pourtant, je ne peux pas en dire autant du cadavre à mes pieds.

Lorsque le corps de ce molosse est tombé devant moi, j'ai cru entendre un cri d'horreur. En voyant que je ne suis pas mort mais grimace légèrement, Morana se penche sur moi après avoir tiré un autre coup. Le deuxième type en face s'écroule. Le troisième nous observe, puis ses yeux se concentrent sur l'arme de Morana. Il hésite un instant puis finit par se barrer, laissant ici les corps sans vie de ses potes. Quel lâche !

Putain, Carden ! Tu vas bien ?

Je lève mon regard vers ma collègue. Ses yeux brillent d'une lueur que je ne comprends pas mais je ne l'interroge pas. Je compresse un peu plus le bas de mon tee-shirt sur la blessure et hausse une épaule.

— Mieux que ce type en tout cas, dis-je en regardant le cadavre de l'homme que j'ai abattu.

Lorsque j'ai vu ces trois mecs se pointer, j'ai aussitôt réagi. J'ai tiré une balle en pleine tête au moment même où l'homme en face m'en collait une dans le bide. J'ai eu de la chance sur ce coup-là. Une deuxième balle et je serai probablement plus mal que ce connard – bien que je ne doute pas que Morana s'en serait occupée personnellement. Mon flingue est maintenant posé à côté de moi, plein de sang. Je soupire en me disant que je ne veux pas qu'il rouille et serre les lèvres.

— Tu m'as fait peur, abruti ! lance Morana en me tapant l'épaule.

Je fais mine d'avoir mal et grimace, et l'instant d'après, Morana écarquille les yeux. Je lui lance un regard abattu. Elle s'apprête à dire quelque chose mais je la devance en lui balançant un gigantesque sourire moqueur. Elle fronce les sourcils et me frappe une deuxième fois, plus fort cette fois-ci.

— Arrête ça, Carden ! Ce n'est pas drôle !

— Pourquoi, tu n'espérais pas jouer aux infirmières avec moi ?

Morana soupire. Visiblement, son agacement envers moi n'a pas cessé malgré ma blessure. Cette fille est insensible. J'aurais bien aimé, juste une fois, voir Morana aux petits soins. Je suis convaincu qu'elle aurait été parfaite pour s'occuper de moi. Ou en tout cas, j'avais déjà quelques idées dans ma tête qui m'auraient permises de me sentir mieux instantanément...

Morana lorgne sur moi, ses yeux passants de mon visage à ma blessure. Voyant que je ne trahis aucune faiblesse, elle semble s'interroger.

— Ton corps est pare-balles ou quoi ? On ne dirait clairement pas que tu viens de te faire tirer dessus.

Dark pain of soulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant