Chapitre 17 : Lena

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Lena

Parfois, j'ai l'impression d'être la personne la plus banale qui existe. J'ai l'impression de ne pas être intéressante. Je suis physiquement normale, mon caractère aussi. Je suis plutôt discrète, gentille, ni trop intelligente, ni trop bête. Je suis issue de la classe moyenne supérieure, j'ai grandi dans une ville de taille moyenne. J'ai eu une enfance plutôt normale, il ne s'est rien passé de surprenant, rien d'étonnant. Je n'ai jamais été populaire, ni l'inverse.

En fait, il y a qu'une seule chose qui pourrait créer une singularité dans mon existence : c'est le fait que chaque année, pendant les vacances d'été, alors que tous mes amis et camarades partent dans le sud de la France, moi, je me rends sur une île tropicale et inconnue à l'autre bout du monde. Là-bas, j'y retrouve mon groupe d'amis. Un groupe où je me sens parfaitement intégrée, où j'ai ma place. Pour une fois.

C'est l'endroit auquel je pense quand je ne vais pas bien. Quand je me sens seule, je repense à Rodrigues et je me dis "au moins tu as cet endroit, au moins tu as ces amis". Rodrigues, même si je n'y vais que quelques jours par an, c'est chez moi. C'est ici que j'ai mes meilleurs souvenirs.

Quand Julien nous a annoncé que la maison allait être vendue et donc qu'on ne reviendrait pas ici l'année prochaine, je me suis décomposée. Alors oui, je sais qu'on pourra se voir ailleurs. Mais je sais qu'on risque de ne pas le faire, et que même si on y arrive, ça sera différent. Je le vois bien chaque année, on a un groupe Facebook où on donne des nouvelles le premier mois, et puis on s'abandonne et on s'oublie... Ce qui n'a jamais été grave, puisque nos liens se recréent l'été d'après. Mais s'il n'y a plus cette maison pour se retrouver, qu'adviendra-t-il de nous ? Existerons-nous toujours ?

Quand Julien nous l'a dit, Léo semblait aussi peiné que moi. Haley était déjà au courant. Josh non plus ne s'y attendait pas. Mais pour lui, ça ne change pas grand-chose, on se retrouvera ailleurs. Mais cet endroit, c'était notre lien alors, je n'en suis pas si sûre.

Je repense à mes aquarelles, j'ai envie d'en faire d'autres, pour garder une trace de cet endroit. J'ai envie qu'on fasse des photos, pour se remémorer. Il ne nous reste plus beaucoup de jours.

Nous avons passé les jours suivants à profiter de l'île. On a loué un petit bateau pour nous rendre sur l'île au coco et l'île aux chats, on a perfectionné nos barbecues et notre bronzage. On a regardé les couchés de soleil sur la plage et manger tous les fruits qu'on trouvait.

Entre Léo et moi, la gêne qui s'était installée au Mont Limon a fini par s'oublier. Même si on se parle moins. Je suis finalement allée déposer mes aquarelles à la boutique de l'hôtel Cocomoa.

Aujourd'hui, Haley va faire enlever son attelle, alors on est tous allés l'accompagner à l'hôpital de l'île. Dans la salle d'attente, mon téléphone sonne, je décroche.

"Bonjour, c'est bien Lena ?" me demande une voix de femme mûre.

"Oui, c'est bien moi."

"C'est Géraldine, la gérante de la boutique de l'hôtel Cocomoa. C'est pour vous dire que nous avons vendu toutes vos aquarelles, vous pouvez venir récupérer votre commission."

"Vraiment ? Super, je vais passer tout à l'heure."

"D'accord, si vous en avez d'autres, n'hésitez pas à venir les déposer."

Je ferme les yeux le temps de réaliser, je ne pensais pas qu'elles seraient toutes vendues. Je regarde le groupe et leur annonce.

"C'est super Léna ! Tu peux être fière de toi, il faut dire que tes aquarelles étaient très réussies, je ne suis pas étonnée !" s'exclame Haley avec un sourire sincère.

Je la prends dans mes bras.

"C'est la première fois que je vends quelque chose que j'ai créé."

Quelque part en moi, je sens naître une étincelle de confiance.

"Haley, cet argent que j'ai obtenu avec la vente des peintures, je te le donne. Tu pourras le rajouter à la cagnotte."

Elle s'apprête à me serrer dans ses bras mais un médecin l'appelle.

"Il faut qu'on se réserve un jour pour aller dormir au Cocomoa, maintenant qu'Haley est guérie, on va pouvoir y aller," rajoute Julien.

Effectivement, il nous reste moins d'une semaine avant notre départ.

"C'est passé tellement vite," répond Léo.

"Oui, et pourtant, j'ai l'impression que ça fait 6 mois qu'on est ensemble."

"C'est l'effet téléréalité," je réponds.

"Comment ça ?" demande Léo.

"Tu n'as jamais vu des candidats pleurer toutes les larmes de leur corps parce que leur copine qu'ils ont rencontrée il y a une semaine quittait l'aventure ? Le fait qu'on soit tout le temps ensemble au même endroit, ça rend tout plus fort et plus intense. Même le temps ne suit plus aucune règle."

"Tu es en train de dire que nous sommes des candidats de téléréalité ?" ajoute Julien.

"On est jeunes, beaux, séduisants et bloqués dans une villa de rêve sur une île, quelque part, on n'en est pas très loin," plaisante Léo.

"Peut-être devrions-nous inviter des caméramans l'année prochaine," ajoute Julien.

Sauf qu'il n'y aura peut-être pas de prochaines années. Le silence retombe jusqu'au retour d'Haley.

"Je suis libérée !" s'écrie-t-elle lorsqu'elle revient vers nous, sans béquille.

Nous retournons à la villa et terminons cette journée par une balade. Même l'odeur de l'anti-moustique me manquera.

Un été à Rodrigues IslandOù les histoires vivent. Découvrez maintenant