Chapitre 19 : Josh

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Josh.


Depuis qu'on m'a proposé cette offre d'emploi, mon esprit tourne en boucle. Vivre à Rodrigues, ce serait mener une vie tranquille, calme et profiter de la nature. Mais cela signifierait s'éloigner de toutes les personnes que je connais et renoncer à ma formation ainsi qu'à mon rêve de travailler pour un restaurant prestigieux.

Les vagues éclaboussent mon visage alors que je sors mon kitesurf de l'eau. Je le traîne sur la plage et replie la voile. Les pailles en queue volent au-dessus de moi. Léo est toujours dans l'eau. J'enlève mon lycra qui semble vouloir rester accroché, et je m'allonge sur le sable. Peu de temps après, j'entends Léo s'approcher.

"Il n'y avait pas beaucoup de vent aujourd'hui".

"Ouais, j'ai galéré, mais si je reste, j'aurai le temps de m'améliorer."

J'ai tout raconté à Léo.

"Si tu restes, tu ne seras pas loin de Maurice, tu pourras venir chez moi".

"C'est vrai ! Qu'est-ce que tu aurais fait à ma place ?"

Léo pose son regard sur les vagues.

"J'en sais rien mec, j'aurais aimé pouvoir partir de Maurice si j'en avais eu l'opportunité. Mais je me doute que c'est difficile de s'éloigner des gens qu'on aime. Rodrigues est une petite île, tout le monde ne peut pas y vivre, tu te sens capable ?"

"Oui je pense, j'aime la nature, je suis quelqu'un de simple, je n'ai pas besoin d'un Starbucks et d'un brunch le dimanche pour être heureux. Mais par contre, je n'aime pas la solitude..."

"Ouais, je comprends. Tu t'es fait des amis ici ?"

"Amis, je ne sais pas. Mais je suis bien intégré dans mon travail et puis il y a Kristel."

Léo se redresse et me fixe.

"Kristel ?"

"Ouais, c'est une collègue, elle est serveuse, on s'entend bien, on traîne ensemble, tu vois."

"C'est ta copine ?"

"Je ne sais pas trop, on n'a jamais mis de mots dessus, je ne lui ai pas dit qu'on m'avait fait une offre d'emploi, donc elle pense que je pars la semaine prochaine, on fait en sorte de ne pas s'attacher".

"Tu devrais lui en parler."

"Je ne sais pas. Je ne sais même pas si j'ai envie d'être en couple."

Les doigts de Léo dessinent des cercles dans le sable. La marée monte et les vagues commencent à nous chatouiller les orteils.

"Comment ça se passe toi, avec ta copine ?"

"C'est compliqué, j'aime les moments qu'on passe ensemble mais parfois, j'ai pas l'impression qu'on est compatible... Enfin, ça dépend des moments, je t'avouerai que je ne la comprends pas très souvent, j'ai l'impression qu'elle cherche tout le temps le conflit."

"Ah ouais, pas cool."

"C'est l'heure du déjeuner, les autres vont nous attendre."

Nous rangeons nos équipements dans la voiture, je remarque que mon visage est rouge. Ici, même en hiver, le soleil est fort. Après le déjeuner, je repense à la conversation avec Léo et je décide d'aller voir Kristel. Je sais qu'elle finit à 15h00 aujourd'hui.

J'attends sur le parking de Cocomoa, à côté de ma vieille mobylette de location. Les touristes passent devant moi, tongs aux pieds et serviettes sous le bras. Et puis enfin, je vois des collègues sortir. Moi, je suis du soir aujourd'hui, donc je reprends à 18h. Ça me laissera un peu de temps avec Kristel. Je la vois sortir avec une copine à elle. Elle est en train de libérer ses boucles brunes de son chignon quand elle m'aperçoit. Elle se dirige vers moi.

"C'est pour moi que tu es là ?"

"Non, j'aime bien traîner sur les parkings."

Son regard marron clair se fait plus insistant, plus profond.

"Je te laisse traîner alors."

"Non, je plaisante, je suis venu te voir."

"Je te manquais ?" demande-t-elle avec un sourire en coin.

"C'est possible, tu veux que je t'emmène quelque part ?"

"Allons chez moi, mes parents sont au travail."

On monte sur la mobylette. Elle glisse ses bras autour de moi, j'adore quand elle fait ça. On arrive très vite chez elle. C'est une petite maison peinte en blanc avec un toit en tôle turquoise. Elle est assez sommaire, comme la plupart des maisons ici. Pourtant, on s'y sent bien. Quand on arrive dans sa chambre, elle allume un ventilateur à pied et ouvre la fenêtre. Elle s'assoit sur le petit lit recouvert d'un couvre-lit beige. Je m'assois aussi en me calant contre le mur. Mes yeux se perdent sur l'armoire mal fermée qui déborde de vêtements.

"Il y a plus de vêtements dans cette armoire que dans la totalité des magasins de vêtements de l'île, tu es au courant ?

"Ça serait bien possible, ici on n'a rien, alors dès que je peux aller à l'île Maurice ou à la Réunion, je fais mon stock".

"Rodrigues n'est pas fait pour les fashionistas".

Elle rit et confirme, tout en secouant un carnet pres de son visage pour s'aérer.

"Cocomoa m'a offert un poste. Je ne sais pas encore si je vais accepter".

"Quoi ? C'est trop cool ! Ça serait super si tu restais !"

"Oui, c'est cool mais j'ai ma vie en Angleterre, mes amis, ma famille, mon école...Alors je ne sais pas trop, c'est de la folie de venir ici."

"Je vois. Mais ici, je suis sûr que c'est mieux que Londres. Tu pourrais aller à la plage, tu t'es super bien intégrée au resto et ici, tu as moi. On pourrait sortir ensemble, je pourrais te présenter ma famille, tu ne seras pas seule."

Ces mots m'angoissent plus qu'autre chose, je ne cherche pas une famille de remplacement. Elle perçoit sans doute mon trouble car elle me demande ce qu'il y a.

"Rien, c'est juste que... bref non je ne sais pas."

Elle fronce les sourcils et se redresse.

"Quoi ? Tu n'as pas envie d'être avec moi c'est ça ?"

"On se connaît à peine Kristel, c'est un peu tôt pour dire ça non ?"

"On se connaît à peine ? Sérieusement ? Tu viens tous les jours me chercher. On a couché ensemble Josh, plusieurs fois. Je crois qu'on se connaît non ?"

"Oui enfin, ce n'était pas sérieux", je bredouille, étonné par son ton sec.

"Ah oui d'accord. Tu vois, la première fois que je t'ai vu, j'ai pensé que tu étais un de ces mecs prétentieux qui se tapent tout ce qui bouge. Et bien je vois que j'avais raison."

Sérieusement ?

"Ravi de savoir que tu me vois comme ça Kristel. Je crois que ça serait mieux que je parte alors". Je me relève et ouvre la porte de sa chambre.

"Tu t'en fous de toute façon, alors barre-toi !"

J'ai terriblement envie de lui dire que je ne m'en fous pas, mais ça n'en vaut pas la peine. Je sors de la maison, remonte sur ma mobylette et m'en vais. C'était une mauvaise idée. Ma mâchoire est crispée, je m'efforce de la détendre alors que je roule sans savoir où je vais, jusqu'à ce que ma colère s'estompe. Je ne veux plus être ici. Je veux rentrer chez moi.

Un été à Rodrigues IslandOù les histoires vivent. Découvrez maintenant