Chapitre 20 : Léo

66 6 0
                                    

Léo 

J'ai toujours eu l'impression d'être celui qu'on oublie, celui qui est un peu différent, celui qui ne s'intègre pas totalement. J'ai remarqué que ma manière de penser est souvent différente. Pour m'intégrer, j'ai pris l'habitude d'être gentil, attentionné. J'ai toujours prêté attention aux émotions des autres, et je fais tout pour qu'ils se sentent bien. J'aime bien ce rôle du mec sympa et tranquille. Je suis convaincu que la meilleure chose pour être heureux, c'est de partager avec les autres, c'est d'être là pour eux, de faire le bien autour de soi. Sinon, à quoi sert-on ? Je ne me sens pas connecté aux personnes dont l'objectif est de devenir le meilleur, je suis l'inverse d'une grosse société placée en bourse.

Je suis content de ça, parce que je me sens bien, je me sens heureux. Même si ces derniers temps, c'est un peu plus compliqué. Il ne nous reste plus que quatre jours à Rodrigues, mais depuis que je suis ici, je suis complètement perdu. Rodrigues est sans doute l'endroit que je préfère au monde. J'aime la simplicité, la gentillesse des habitants, j'aime le temps qu'ils prennent. Tout est plus simple ici : moins de choix, plus d'essentiel. On peut alors se concentrer sur soi.

Cet après-midi, on part à l'hôtel Cocomoa. Grace à Haley, nous avons pu obtenir une nuit gratuite, juste nous 5.

Il est dix heures, nous venons de terminer de prendre le petit déjeuner. On se répartit les tâches pour l'organisation de la soirée. Un appel de Louise s'affiche sur l'écran de mon téléphone. Je prends l'appel et m'éclipse dans le jardin.

"Salut Léo, ça va ?"

"Oui ça va, c'est la fin des vacances, on prépare la fin."

"Ok, quand est-ce qu'on se voit ?"

"Et bien je rentre jeudi, en arrivant, il faudra qu'on range toutes les affaires mais je serai disponible après."

"On peut se voir vendredi ?"

"Vendredi je pourrais pas mais samedi."

"Ce week-end, je suis avec mes tantes, je ne serai pas disponible, tu ne peux vraiment pas vendredi ?"

Je réfléchis, il faudra aider ma mère pour laver le linge, nettoyer la maison, refaire des courses car les placards sont vides. Nettoyer la maison...

"Si je dois pouvoir me libérer, mais je n'aurai pas beaucoup de temps."

"J'ai l'impression que tu n'en as plus beaucoup pour moi de toute façon..."

Encore des reproches... Depuis que je suis à Rodrigues, Louise me reproche de ne pas assez lui écrire et lui parler. À Rodrigues, c'est compliqué. Je n'ai pas envie d'être avec mon portable toute la journée, je suis avec mes amis. Et puis, il y a aussi le fait que je n'en ressens pas le besoin, mais pourtant je me suis forcé à le faire toutes les vacances pour elle, pour lui faire plaisir.

"Léo, parfois j'ai l'impression que tu restes avec moi par rapport à ce qu'il s'est passé."

Un soupir s'échappe. Louise a perdu son père il y a quelques mois. Notre histoire commençait déjà à battre de l'aile, alors que ça faisait 3 mois qu'on était ensemble. Et il est vrai que je ne voulais pas la faire souffrir encore plus. Elle avait besoin de soutien et d'amour. Alors j'ai mis mes doutes de côté. Mais en arrivant à Maurice, le fait d'être loin d'elle m'a fait du bien. J'ai eu l'impression qu'on m'enlevait un poids. J'essaie toujours d'être gentil avec tout le monde. Mais parfois, c'est plus dur que ca ne devrait.

Je ne sais pas quoi lui répondre. Je ne peux pas lui dire oui, et je n'ai pas envie de lui mentir. Louise est gentille, mais nous sommes trop différents. Elle reprend :

"Je crois qu'on devrait s'arrêter là. Je n'ai pas envie que tu restes avec moi par pitié et ton silence a tout dit. Je n'ai pas envie d'avoir à te supplier pour que tu me parles alors que tu n'en as clairement pas envie."

"Je suis désolé Louise. Ce n'est pas ça..."

"Alors quoi ? Prouve moi que tu veux être avec moi, que je suis importante pour toi."

"Mais tu es importante pour moi Louise. On ne peut pas se séparer comme ça, sur un coup de tête."

"Réfléchis alors, est-ce que t'es capable d'être là pour moi ? Est-ce que t'es capable de t'investir ? Je te laisse jusqu'à ce soir pour que tu me donnes ta réponse. Et si oui, je m'attends à ce que tu me le prouves dès qu'on se reverra. Bye, Léo."

Elle raccroche. Je me sens terriblement mal. J'ai l'impression d'être une personne horrible. Et je déteste avoir ce rôle. Mais c'est peut-être ce qu'il fallait faire. Les larmes jaillissent de mes yeux, je les laisse couler et m'assois dans un coin à l'abri des regards. Ma mère me dit toujours que je devrais penser un peu plus à moi, mais quand on voit le mal que ça peut causer, j'ai des doutes.

"Léo, t'es là ?"

C'est la voix de Josh. J'essuie mes larmes rapidement avant de répondre.

Il s'approche de moi.

"Ça va mec ?"

"J'ai connu mieux..."

"C'était ta copine ?"

Il s'assoit à côté de moi.

"Oui, je l'ai appelée et elle s'est directement énervée."

"Oh je connais ça, Kristel m'a fait pareil hier. Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?"

"Elle m'a demandé de réfléchir à notre relation et de lui dire aujourd'hui si je voulais qu'on continue."

"Et tu sais ce que tu vas dire ?"

"Non. Enfin, je vois bien que notre couple ne fonctionne pas vraiment. Mais je sais aussi que dans un couple il y a des hauts et des bas, alors on traverse peut-être juste une mauvaise phase.


"Est-ce que tu l'aimes ?", demande-t-il.

"Oui, je suis attaché à elle, elle compte pour moi."

"Est-ce que tu te verrais seul sur une île déserte pour le reste de ta vie avec elle ?"

"Oh non, clairement pas."

"Est-ce que tu te verrais rester seul sur une île avec Léna ?"

Un rire s'échappe de ma bouche.

"Pourquoi tu dis ça ?"

"On sait tous que tu en pinçais pour Léna les années précédentes."

Je me concentre pour m'imaginer la situation. Léna et moi sur une île, ensemble. Je crois que jamais je ne m'ennuierai.

"Vu ton sourire en coin, on a la réponse !"

"Arrête, je ne sortirai jamais avec Léna, elle est en France et moi à Maurice, ça n'a pas de sens, on se verrait une fois par an ? On ne sait même pas si l'année prochaine on va se revoir si la maison est vendue."

"Je t'ai connu plus optimiste. Je dois te laisser, je pars travailler."

"Attends !"

"Ouais ?"

"Alors finalement, tu restes à Rodrigues ou tu rentres à Londres ?"

"Je rentre à Londres. Je vais terminer mon école, mais peut-être que je reviendrai après, qui sait ?"

Il s'éloigne et je reste là. Je n'ai plus envie de pleurer. Il faut que je quitte Louise, même si ça va lui faire du mal. Mais pas tout de suite, j'ai envie de profiter de ce moment de calme avant la tempête. La piscine est vide alors je décide d'y plonger. En remontant à la surface, je me mets sur le dos et me laisse flotter. Quelques pailles en queue traversent le ciel sans nuage.



_______

"Last but not least", voici le premier chapitre consacré à Léo. Est-ce que vous l'imaginiez comme ca dans ses pensées ?

Un été à Rodrigues IslandOù les histoires vivent. Découvrez maintenant