Chapitre 2

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La douleur de mes escarpins n'était pas si terrible contrairement à celle que je ressens en écrasant des graviers, éclats de verre et autres détritus de mes pieds nus. Bordel ce qu'il court vite ! Sans mes deux sacs aux épaules et avec de bonnes chaussures de sport, j'aurai pu le rattraper il y a plusieurs minutes déjà. 

La course à pieds a toujours été une activité me permettant de m'évader ou d'extérioriser la colère ou encore le stress de mon travail. Elle m'a aidé à transformer mon corps et à me sentir mieux dans ma peau. Quand les lueurs du soleil commencent à effleurer votre visage, dans un environnement silencieux et légèrement frais le matin, avec Evanescence dans vos oreilles, vous ne répondez plus de rien. J'étais loin de me douter que j'allais détester ma prochaine course.

Pendant que mes poumons me crient de faire une pause, que mes pieds hurlent de douleur et qu'une goutte de sueur perle sur mon front, le petit garçon n'a pas l'air d'être fatigué, bien au contraire. J'ai même l'impression qu'il a accéléré la cadence. Je n'arriverais jamais à le rattraper. Il vaut mieux laisser tomber.

Non. Je ne le laisserais pas obtenir ce qu'il veut aussi facilement. L'idée de savoir que ses parents le laissent voler dans les rues m'horripile. Je ne veux pas qu'il croit que tout est à porter de main sans fournir le moindre effort. Il faut que je récupère mon dû et que je lui donne une bonne leçon de vie. Mon entêtement est trop fort pour que je m'arrête maintenant.

Le gamin tourne rapidement sa tête, fronçant les sourcils en s'apercevant que je le suis toujours. Les traces sombres présentes sur sa figure me font mal au cœur. Malgré qu'il m'ai volé, j'ai subitement envie de le ramener chez moi pour qu'il puisse prendre une bonne douche chaude et manger un repas consistant. J'ai beau être hautaine et narcissique, je n'en reste pas moins une humaine. Je ne peux m'empêcher de ressentir de la compassion pour ce petit bonhomme. L'idée de l'adopter et d'en faire une bête de travail fortuné effleure mon esprit.

Mes pensées furent interrompues par le changement de destination du garçon, qui a bifurqué sur la droite. Il doit essayer de changer de stratégie, voyant que la ligne droite ne m'atteignait pas. S'il essaie de me semer, je suis mal. Je réalise tous mes trajets uniquement en voiture et je ne suis arrivée à Los Angeles qu'il y a un an. Je connais donc très mal le quartier. J'espère d'ailleurs qu'en finissant notre course, je saurai retrouver mon chemin.

Je décide tout de même de le suivre et tourne à mon tour sur une petite ruelle qui donne sur un cul-de-sac. Jour de chance ! Je m'arrête devant le petit garçon qui est maintenant face à moi, démuni. Il me toise de ses grands yeux gris, la bouche entrouverte, essayant tant bien que mal de retrouver sa respiration et de réfléchir à une issue de secours. Son regard paniqué bifurque entre moi et la route que nous venons de quitter. Il se retourne plusieurs fois sur lui-même mais reste sur place. Je reprends également mon souffle, ne sachant pas comment réagir face à la détresse de ce petit garçon.

Dois-je le gronder ? Appeler la police ? Ou devrais-je me montrer compatissante ?

Il me vient même à penser que le petit peut se jouer de moi et être un bon acteur pour m'amadouer. C'est d'ailleurs pour cette raison que beaucoup de parents vivant dans la rue envoient leurs enfants pour faire le sale boulot. C'est vous qui devraient être punis, pas lui.

Qu'il soit bon comédien ou non, la conclusion reste la même. Ce garçon est sale et mal en point. Ses joues sont creusées et j'entends son ventre crier famine par le biais de gros gargouillis. J'ai envie qu'il reparte avec mes chaussures pour s'acheter à manger mais l'idée que d'autres profitent à sa place une fois qu'il sera rentré avec son butin m'écœure.

Je m'approche du petit brun. Ce dernier recule à chacun de mes pas, son dos heurtant le mur du cul-de-sac. Je décide de m'agenouiller afin de me mettre à sa hauteur.

- N'aies pas peur, murmuré-je.

Les traits de l'enfant se radoucissent à l'entente de mes paroles, sa respiration se faisant plus lente. Il me dévisage, ne comprenant sûrement pas ma réaction. Ses yeux gris maintenant proches des miens sont d'une beauté rare, faisant contraste aux petites traces noires envahissants son visage.

Face à son silence, je décide de lui tendre une barre de céréales au chocolat protéinée que je viens de sortir de mon sac à main. A la vue de la sucrerie, le garçon lâche instantanément mes chaussures et s'empare de la nourriture. Il arrache l'emballage rapidement et se délecte d'une grande bouchée, représentant la moitié du chocolat.

- Fait attention, sourie-je, ne mange pas trop vite. Tu risques d'avoir mal au ventre.

Je me rends compte que ma remarque fait mouche. Ce petit a déjà l'estomac en compote face à sa famine. Néanmoins il ne relève pas, n'ayant pas l'air de m'écouter étant donné qu'il reprend la même bouchée que la précédente, finissant ainsi ma barre en deux temps. Une fois le tout avalé, il me toise de nouveau de ses grands yeux, sans porter d'attention au butin qu'il a laissé échappé. Je n'ai d'ailleurs pas penser à les reprendre pendant qu'il dégustait son petit repas. A vrai dire, je n'en ai plus rien à faire de ces chaussures.

- Tu as soif ?

Le petit garçon acquiesce avec énergie. Je lui tends alors une petite bouteille d'eau qu'il m'arrache des mains et s'empresse de porter à sa bouche. Il en met partout. Je souris d'un air triste. Ce spectacle ne devrait pas se produire, pas à cet âge. A cette heure-ci, il devrait déjà être endormi avec ses peluches dans un lit bien douillé et ne pas courir dans les rues sombres de Los Angeles dans le froid à la recherche d'une victime à escroquer. Quel destin tragique.

Une fois fini, le petit garçon me tend la bouteille d'eau et l'emballage vide de la sucrerie. Cela me touche qu'il ne pense pas à les jeter directement par terre. Si cet enfant est sale, il n'en reste pas moins propre avec les rues de cette ville. Parce que c'est ici qu'il vit. 

Je ne peux m'empêcher de tendre une main vers son visage pour essuyer de mes doigts l'eau qu'il a mis partout. A ma grande surprise, le petit brun se laisse faire, m'accordant toute sa confiance aussi rapidement. Tu ne devrais pas l'accorder trop vite aux inconnus, pensé-je. J'arrive à effacer certaines traces grâce à l'eau que j'étale un peu partout. Le petit brun se laisse faire, sans me quitter des yeux. Je décide de prendre un mouchoir pour l'essuyer complètement. Je peine à enlever totalement la crasse de sa peau mais c'est déjà mieux qu'avant.

J'entends subitement des pas s'approcher rapidement et s'arrêter brusquement derrière moi.

- Putain lâche-le !

Face aux hurlements de ce qui s'apparente être un homme, je sursaute. Je stoppe instantanément le ravalement de façade du petit et me retourne délicatement après m'être remise debout, le mouchoir maintenant sale à la main. Le regard assassin qui menace à tout moment de me faire passer l'envie de retoucher à un cheveu de l'enfant est aussi magnifique que ce dernier, d'un gris profond et scintillant.


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