𝑺𝒖𝒓 𝒖𝒏𝒆 𝒎𝒆́𝒍𝒐𝒅𝒊𝒆 𝒅𝒆 𝒑𝒊𝒂𝒏𝒐

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A côté de la fontaineᶰᵒʷ ᵖˡᵃʸᶤᶰᵍ : ˢᵒˡᵃˢ ᵇʸ ᴶᵃᵐᶤᵉ ᴰᵘᶠᶠʸ

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A côté de la fontaine
ᶰᵒʷ ᵖˡᵃʸᶤᶰᵍ : ˢᵒˡᵃˢ ᵇʸ ᴶᵃᵐᶤᵉ ᴰᵘᶠᶠʸ

Le froid, la neige et la lumière d'un lampadaire, comme le soir de notre rencontre : le décor est planté. J'ai si froid que je pourrai sculpter quelque chose dans mon souffle glacé. Si je pouvais, je sculpterais deux silhouettes, enlacées. Sur leurs joues couleraient deux larmes ; dans la main d'une d'entre elles, se trouverait un poignard. Je suis debout, au milieu de la place, à côté de la fontaine. Notre fontaine. Celle où tu m'emmenais dès que la vie se mettait à aller un peu trop vite, celle où nous lancions des pièces et où nous faisions des vœux par millier, celle où tu m'as embrassé en ce jour de décembre, celle où tu m'as promis que jamais tu ne me quitterais. Dans l'atmosphère feutrée de l'hiver, il n'y aucun bruit, pas de murmure, pas de musique, pas de chamaillerie. L'horloge ne sonne plus, les citoyens se sont plaints : ils ne veulent plus de bruit pendant la nuit.

Je suis seul, la neige recouvre peu à peu le bout de mes chaussures. Peu importe où se porte mon regard, j'ai l'impression de te voir. Tu es là, au coin de la rue, tu demandes ton chemin à un passant. Ou là, près de ce lampadaire, tu donnes une pièce à un sans-abri et tu lui offres ton écharpe. Ou encore là-bas, à la terrasse de ce café, tu ris à la blague que vient de te faire le serveur. Tu es partout et nulle part à la fois. Et je suis seul, à côté de cette fontaine.

Son marbre blanc semble me narguer. Lui qui a vu tant de relations s'étioler au fil du temps a dû bien rire de nous voir nous jurer l'éternité. Je m'approche. Les pièces rouillées au fond de l'eau me fixent. Parmi tous ces petits ronds cuivrés, lesquels ont été touchés de ta main ? Lesquelles as-tu lancé ? Quel vœu as-tu formulé en les voyant couler au fond de l'eau ?

Ma main se pose sur le rebord. Il est froid, comme le reste depuis que tu n'es plus là. Toutes ces années à t'aimer... Toutes ces années à te regarder de loin, à t'admirer, et cesser de respirer en ta présence... Toutes ces années passées à espérer. Espérer ne serait-ce qu'une miette de ton attention. Prier pour un sourire, un regard. Et toi pendant ce temps, tu vivais, tu riais, tu dansais. Tes doigts volaient au-dessus des touches blanches et noires, et je sombrais. Tu me faisais danser du bout des doigts, sur une mélodie de piano. Combien de temps ton petit spectacle a-t-il duré ? Te rendais-tu seulement compte d'à quel point je souffrais de notre valse feutrée ? Empathique comme tu l'étais, tu n'as sûrement jamais dû t'en douter, sinon tu aurais tout arrêté.

Et maintenant, Chan, que suis-je censé faire ? Danser seul sur la place enneigée ? Sur une mélodie de piano imaginaire puisque tu n'es plus là pour en jouer ?

Mon souffle se condense sur mes lunettes. La fontaine disparaît derrière la buée. Je retire mes lunettes et les essuie avant de les reposer sur mon nez. Mon cœur se serre. J'espérais qu'une fois la buée enlevée, tu réapparaisses par magie, avec ton sourire aux lèvres, et ta main tendue vers le ciel. Si je ferme les yeux, je te vois.

Tu es beau.

Tu l'as toujours été, mais, moi, plus le temps passait, plus je te trouvais parfait. Était-ce l'amour qui me faisait parler ? Que pouvais-je dire ? Tu t'embellissais avec l'âge, c'était un fait. Les pattes d'oie au creux de tes yeux te donnaient un air rieur que j'admirais, tes cheveux grisonnant te rendant d'autant plus séduisant, et les gens continuaient de se retourner sur ton passage. Tu riais de ma mine déconfite lorsque les serveurs te glissaient leur numéro sous ta tasse de café, ou que les infirmières gloussaient lorsque tu leur racontais tes blagues dont tu avais le secret.

La Lune se reflète dans l'eau de la fontaine. Ça me rappelle notre toute première conversation. Nous étions jeunes, si jeunes. Tu m'avais trouvé là, à cet emplacement précis, assis sur le rebord de cette foutue fontaine, le nez levé vers le ciel, les joues rougies par le froid, les yeux brillants de larmes qui ne voulaient pas couler. Tu t'étais arrêté devant moi, nous nous étions fixés un moment. Sans savoir réellement pourquoi, je n'avais pas détourné le regard et tu avais fini par lâcher le mien en souriant. Tu t'étais tourné vers la Lune et tu m'avais demandé pourquoi je pleurais. Je n'avais pas répondu, alors tu avais parlé pour deux. Tu m'avais raconté l'histoire d'un garçon vivant dans les étoiles, amoureux d'une nymphe vivant sur Terre. Tu m'avais parlé de leur amour si fort qu'il en était né la Lune sur laquelle ils se retrouvaient une fois par an, lors de l'équinoxe de printemps. Tu m'avais proposé de te retrouver là, en mars, une fois que les oiseaux se seraient remis à chanter. Et sans savoir pourquoi, j'avais accepté. Cette pensée m'avait permis de tenir l'hiver, et j'avais passé la journée de l'équinoxe, assis sur le rebord de la fontaine, à t'attendre. Tu étais arrivé, comme par magie, juste avant minuit.

Tu étais comme un mirage. Tu apparaissais et disparaissais au gré de tes envies, sans que je puisse y faire quoi que ce soit. Tu épuisais ma volonté, tu te nourrissais de mon âme, et je te laissais faire, car lorsque tu posais tes yeux sur moi, tes lèvres sur ma bouche, ta main dans mon dos, je me sentais revivre. Je redevenais la fleur que tu voyais en moi. Je revêtais mes plus belles couleurs, choisie avec soin, j'arborais mes plus beaux pétales. J'avais l'impression d'être la rose du petit prince, coincé sous ma cloche de verre, à attendre ton retour.

La surface se trouble lorsque je la touche de mon doigt. L'eau ne coule pas pendant la nuit, cela aussi fait trop de bruit. La nuit, l'eau reste dans le bassin. Elle ne bouge pas, elle attend. Je me penche, je contemple mon reflet, terni avec le temps.

Je n'ai pas senti la larme couler le long de ma joue, trop engourdi par le froid. Pourtant, je la vois tomber dans la fontaine, formant quelques cercles concentriques autour du point d'impact. Elle est rapidement suivie d'une deuxième, puis d'une troisième. Je ne prends pas la peine de sortir un mouchoir, je pleure, sans m'arrêter. Je remplis le bassin. L'eau salée se mêle à l'eau gelée. Je pleure. Je pleure ma rage, ma frustration, ma peine, mon deuil.

Mon amour s'en est allé dans les étoiles, et moi, pauvre nymphe sans pouvoir, je reste coincé sur Terre, sans même l'espoir de pouvoir le revoir.

Tu n'avais pas le droit Chan. Toutes ces années à t'aimer, pour que tu finisses par me poignarder dans le dos. Tu n'avais pas le droit de laisser ta rose et de t'en aller dans les étoiles, sans lui donner rendez-vous. Je me serai contenté d'une éclipse, celle qui arrive tous les 20 ans, au diable l'équinoxe de printemps. Mais non, tu es parti sans aucune indication. Tu es parti dans un éclat de rire, comme toujours.

Sur une mélodie de piano.

Sur une mélodie de piano //JeongchanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant