10 - jennifer

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Jennifer inspira profondément, sentant le froid de la porcelaine contre ses genoux. Ses doigts étaient crispés autour du rebord de la cuvette. Le goût amer de la bile lui brûlait encore la gorge. Une nouvelle vague de nausée menaçait, mais elle ne bougea pas. C'était devenu une habitude. Une routine. Presque une forme de contrôle.

Le miroir devant elle la renvoyait une image qu'elle détestait, qu'elle essayait chaque jour de sculpter, de perfectionner, sans jamais atteindre cette silhouette idéale qui dansait dans sa tête. Ses os saillants sous la peau pâle lui semblaient à la fois preuve de réussite et d'échec. Elle voulait être plus légère, presque invisible. Mais même avec cette maigreur, elle se sentait lourde, envahie par le poids des regards des autres, par celui du passé qu'elle traînait comme une ombre.

Louis... Il n'y avait pas un jour où elle ne pensait pas à lui. Son frère, son pilier, celui qui avait toujours été là pour elle. Il n'aurait jamais voulu la voir comme ça. Pourtant, c'était en partie sa faute. Pas à lui directement, non, mais à cette nuit où il avait venir les chercher, elle et Grace. S'il ne l'avait jamais fait, s'il n'était pas mort dans cet accident, peut-être qu'elle aurait encore un goût pour la vie.

Jennifer se redressa lentement, le corps tremblant. Elle tira la chasse d'eau et se laissa glisser contre le mur carrelé de la salle de bain, ses jambes ramenées contre elle. C'était toujours comme ça. Chaque matin, chaque repas. Le vide prenait le dessus. Elle ne se souvenait plus de la dernière fois où elle avait mangé sans que son esprit calcule chaque bouchée. Une lutte constante entre l'envie de s'effacer et celle de maintenir les apparences.

Son téléphone vibra dans sa poche. Un message de Zach.
« Salut, ça va ? Si t'as rien de prévu ce soir, ça te dit qu'on se retrouve au stade ? »

Elle hésita. Depuis que Zachary avait commencé à lui parler plus souvent, un lien étrange s'était tissé entre eux. Elle savait qu'il traversait une période difficile avec l'affaire de son père, et peut-être qu'il voyait en elle quelqu'un capable de comprendre cette solitude. Mais elle n'était pas certaine d'avoir la force de l'aider, de soutenir quelqu'un quand elle-même était sur le point de s'effondrer.

Elle se leva, les muscles endoloris, et se dirigea vers sa chambre. Devant son armoire, elle fixa les vêtements suspendus. Chaque pièce lui semblait soit trop grande, soit trop serrée, comme si rien n'était jamais fait pour elle. Pourtant, aux yeux des autres, elle était cette fille populaire, la capitaine des cheerleaders.

Elle jouait son rôle à la perfection, chaque sourire, chaque mouvement calculé pour cacher ce qui se passait à l'intérieur. Mais ce rôle, elle n'en pouvait plus.

Elle répondit à Zachary, tapant lentement sur l'écran : « ok. à ce soir. »

Ce serait plus simple de s'enfermer, de ne parler à personne, mais quelque chose chez lui la forçait à sortir de sa coquille. Peut-être parce qu'il n'essayait pas de la comprendre, ni de la juger. Il n'attendait pas d'elle qu'elle se justifie. Il était là, c'est tout.

Le soir venu, elle enfila un sweat trop large, espérant que personne ne remarquerait les os trop visibles sous ses vêtements. En arrivant au stade, elle aperçut Zachary, assis dans les gradins, le regard perdu dans l'obscurité. Elle s'approcha sans bruit, s'asseyant à côté de lui.

— Tu vas bien ? demanda-t-il doucement.

Elle haussa les épaules, incapable de mentir cette fois. Il tourna la tête vers elle, mais ne posa pas de questions. C'est pour ça qu'elle pouvait rester là, avec lui. Il ne la forçait jamais à parler. Ils restaient là, côte à côte, silencieux, avec leurs cicatrices invisibles.

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