Chapitre 6 partie 1 : Avna

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Je reconnais ce décor onirique et nébuleux, et je comprends immédiatement où je suis, dans un monde entre rêve et réalité, dans un endroit où le temps est suspendu. Là où Tobo-ha veut que je sois, là où je me trouvais déjà la veille. Autour de moi, ne demeure que des cumulus et des stratus de la couleur du ciel de Bethir, d’ocre, de mauve et de rose. Moi, je flotte dans le vide, ne posant pas tout à fait mes pieds sur ces cotons en suspension. Je me sens sereine, apaisée, et je sais que je dois simplement attendre, la Déesse viendra pour me parler.

Il suffit que j’y pense pour qu’Elle apparaisse devant moi. Elle a de longs cheveux noirs, semblables aux miens et qui, par vague, enveloppent sa nudité. Sa peau paraît aussi brune que l’écorce d’un arbre et sans aucune imperfection. Ses yeux sont uniquement blancs, sans pupille, et se dessine derrière elle une paire d’ailes composées de plumes parme, comme celles que j’ai trouvées après ma première vision. C’est la deuxième fois que la Déesse se présente à moi sous cette forme. La première où elle s’est montrée ainsi remonte à la nuit que j’ai passée en compagnie d’Elik. Je prends un temps pour la contempler, notre dernière entrevue ayant été coupée prématurément, brutalement arrachée comme je l’avais été à mon état de subconscience. À nouveau, je suis subjuguée par sa beauté, son aura, sa prestance.

Elle s’approche jusqu’à moi et je lève les yeux pour me plonger dans son regard vide, tandis qu’elle pose sa main sur ma joue. Tobo-ha me dit alors d’une voix claire, qui vibre dans mon esprit et résonne dans tout mon corps :

Comment vas-tu, ma tendre enfant ? Je te suis reconnaissante d’avoir récupéré ce collier. Grâce à lui, je vais pouvoir communiquer plus aisément avec toi.

Pour toute réponse, bouleversée et calme à la fois, je me contente de hocher la tête.

Tu as fait la rencontre de ton âme-sœur, c’est très bien, poursuit-elle.
Pourquoi lui ? je demande aussitôt.
Parce que c’est ce qu’il faut, sais-tu ce qu’est supposé représenter avant tout ton âme-sœur ? Une personne à la fois similaire en tous points, mais assez différente pour te compléter là où tu en as plus besoin.
Mais c’est un Mahar, je gémis presque, tant est-ce douloureux de l’admettre à haute voix et que je hais me sentir si vulnérable.
Tu peux lui faire confiance, à condition que tu lui accordes également la tienne.
Je ne peux pas, il en a après mon peuple ! je rétorque.
Il ne suffit parfois que d’une envolée de plumes pour que la destinée voie son cours changé.

Après cette réponse pour le moins énigmatique, elle fait glisser ses doigts sur ma tempe, et le décor change drastiquement autour de nous. Tout n’est désormais que pluie, grisaille et désolation. Je ne reconnais pas immédiatement où je me trouve. Les infrastructures qui composent les rues, des maisons aux toits pointus en chaume ou en terre cuite, et les habitants que je croise, me permettent de le deviner. Je me trouve à Tsefira. Des citoyens courent dans tous les sens, affolés, ils crient, ils hurlent, ils pleurent, dans une cacophonie infernale. Des soldats en armures les poursuivent à cheval, armes à la main. L’eau sur le sol mêlé au sang et à la terre s’écoule dans les caniveaux. Et, sans en connaître davantage, je comprends d’où la panique générale peut venir, et elle me gagne également, bien que je sache pertinemment qu’il s’agit d’une vision.

Je ne connais que trop bien ce chaos : celui de la guerre. Ou plutôt d’une exécution de masse. Mais, pourquoi ici et non à Bethir ? Là où les Mahar n'hésitent pas à venir sur nos terres dès qu’une brèche apparaît pour tuer, voler et violer des Immoran sans défense, quitte à y laisser leur vie. Pourquoi sous mes yeux vois-je mourir des leurs par centaines ? Cela n'a absolument aucun sens. Soudain, j’entends le croisement de deux armes de métal juste à côté de moi et, par réflexe, je m’éloigne d’un bond et me mets en position de défense.

Les Héritiers de la Guerre T.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant