Chapitre 3 : Elik

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Maintenant que Persvam et Allutheva sont partis, je me retrouve seul avec l'inconnue. Je continue de la détailler de la tête aux pieds, et son regard ne quitte pas le mien. Elle n'a aucunement l'air impressionnée. De prime abord, je ne vois rien de particulier à notifier. Il s'agit d'une jeune femme, plus petite que moi de deux têtes, aux cheveux noirs et aux yeux bruns, habillée de manière bien trop légère pour le froid hivernal du Continent avec son chandail en lin et sa cape. Cependant, plus je l'observe, et plus ça me saute aux yeux : elle n'est pas une Arah. Malgré la faible luminosité, je vois des reflets couleur or se glisser de temps à autre dans ses iris, des taches mauves apparaissent puis disparaissent sur ses joues. Elle a aussi ce nez légèrement retroussé caractéristique des Immoran. Elle doit sûrement utiliser leur sorcellerie, peut-être un maléfice qui lui permet de prendre une apparence différente.

Je serre les poings et contracte la mâchoire. Si elle est bien celle que je pense, que fait-elle sur notre territoire ? La colère monte en moi, autant qu'un intérêt particulier. Peu de choses ou de personnes titillent ma curiosité, mais lorsque c'est le cas, j'ai beaucoup de mal à ne pas y céder. Tous les Immoran que j'ai vus jusqu'à ce jour sont des otages lors d'une précédente invasion. Je n'ai jamais entendu parler de cas où ceux qui ont la peau pourpre s'aventurent sur le Continent, et encore moins de ceux qui circulent dans les rues de la capitale.

D'innombrables questions envahissent mon esprit. Quelles sont ses motivations ? Est-ce une espionne ? Si oui, y en a-t-il d'autres ? Quels seraient leurs objectifs ? Préparent-ils eux aussi la Guerre ? J'ai besoin de savoir. Pourtant, je sais qu'en tant que rôdeur, je n'ai pas le droit d'agir ainsi. La procédure est claire : je dois l'arrêter et la conduire à un des cachots du Château, où elle sera interrogée par un Mahar de Juthir. Malheureusement, je ne connaîtrai jamais le contenu de cet entretien et donc les réponses à mes questions, car on procède ainsi. Mais ce soir, j'ai étrangement envie de l'outrepasser légèrement...
Mille interrogations me taraudent, à tel point que je ne sais pas par où commencer. Je finis simplement par dire, sans détacher mon regard du sien :

- Je sais que tu caches une lame dans ta manche, lâche-la, si tu ne veux pas le regretter.

Elle fronce un peu plus les sourcils, dans une expression qui traduit un mélange de surprise et d'irritation. Quelques secondes passent où je me dis qu'elle ne va pas s'exécuter puis le bruit du métal contre le pavé résonne dans la ruelle.

- Est-ce toujours ainsi que vous traitez les personnes qui ne viennent pas du Continent ? demande-t-elle, incisive.

Sa voix sonne étrangement plus mélodieusement que ce à quoi je m'attendais. Mais à quoi m'attendais-je exactement ? Ce n'est pas comme si j'avais déjà parlé avec une personne de ce peuple.

- C'est comme ça que l'on traite les Immoran.

Ses traits sont furtivement traversés par de la peur et de l'incompréhension. Plus d'éclats dorés et de taches apparaissent alors sur son visage, avant qu'elle parvienne à reprendre consistance.

- Je ne suis pas une Immoran.

Je n'arrive pas à retenir un soupir, l'agacement gagnant du terrain dans mon humeur.

- Je sais que tu en es une, ça ne sert à rien de mentir, à part à me faire perdre du temps, lui dis-je simplement.
- Et qu'est-ce que je gagnerais à te dire la vérité ?
- Tu devrais plutôt t'inquiéter de ce que ça te coûterait, si tu ne le faisais pas.

Elle bat des cils, mais ne semble aucunement affectée par mes menaces.

- Reprends ta forme originelle, j'exige.

Les Héritiers de la Guerre T.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant