Chapitre 5 : Névroses

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Je regardai distraitement les employés apporter les derniers plats et Luca me quitta un moment plus tard pour rejoindre sa sœur qui était arrivée, accompagnée de Lucetta et d'Ophelia.

Cette dernière était resplendissante même dans sa robe de deuil. Le tissu moulait ses formes et s'évasait en bas. Elle avait lâché ses cheveux roux, et ils tombaient en cascade jusqu'à sa taille. Quand elle bougeait, ils brillaient à la lumière.

Luca serra sa sœur, embrassa la joue d'Ophelia qui rougit délicieusement et se pencha pour déposer un baiser dans les cheveux de sa nièce. Je ne l'avais pas revue depuis l'Opéra et sa présence me permit d'oublier momentanément Vincenzo, qui était allé flirter avec une employée.

La première fois que Luca m'avait proposé une place au sein d'une équipe pour protéger sa nièce, j'avais tout de suite accepté. Pas parce que j'aimais les enfants. Au contraire, même si j'avais toujours su qu'un jour j'en aurais – merci à l'engrenage fasciste de la femme au foyer inculqué dès le plus jeune âge – je n'avais jamais su comment me comporter avec eux.

Elle ne m'avait fait ni chaud ni froid. Elle avait juste été un moyen pour me rapprocher de son oncle.

Mais de semaine en semaine, j'avais découvert un petit être de douceur, qui était en train de grandir dans un monde de violence.

Luca avait toujours fait en sorte de la protéger du monde extérieur et des mafieux qui pouvaient parfois grouiller au rez-de-chaussée. Il s'était préoccupé de son bien-être et il l'avait voulue en sécurité en toutes circonstances.

Jusqu'à l'attentat de l'anniversaire de Don Vito, où elle avait failli y passer.

Et c'était moi qui avais communiqué à la Garde le lieu.

Je savais que j'avais une part de responsabilité, même si personne ne m'avait prévenue pour les explosifs. Et pour avoir mis en danger de mort la petite fille, la haine de Luca à mon égard était légitime.

Tout comme la mienne.

Si Raf avait été en vie, j'aurais eu une vie complètement différente. Sans mes mains souillées. Mon esprit en ruine. Et mon corps hideux.

— N... Ne'a ! m'appela timidement une petite voix.

Je fus surprise de voir Lucetta courir vers moi et je cherchai instinctivement son oncle du regard. Il nous fixait, tendu, les traits fermés. Mais devant d'autres personnes, il pouvait difficilement empêcher notre rencontre sans attirer les suspicions.

Elle se posta devant moi et quelque chose réchauffa ma poitrine, quand elle me regarda avec de grands yeux innocents.

Et peut-être qu'il restait une infime, minuscule part de beauté en moi, visible à ses yeux uniquement, si je ne lui faisais pas peur.

— Tu vas bien, petite ? m'enquis-je gentiment.

Elle hocha vivement la tête et je fus tentée de caresser sa belle chevelure blonde. Je me retins bien sûr. Je n'en avais plus le droit. Toutefois, ce fut l'enfant qui me toucha la première quand elle aperçut mes mains bandées.

— Oh ! s'étonna-t-elle. N... Ne'a... Là...! Fait... Mal !

Elle me prit les mains et elle souffla sur les bandages, semblable aux bobos magiques qui partaient après un petit bisou.

Et à l'intérieur de moi, j'en fus absolument horrifiée.

Si elle avait su ce que ces mains avaient fait pour être dans cet état, elle serait partie en pleurant.

Rien que pour ça, elles méritaient d'être brûlées.

— À table ! déclara Donna en revenant avec des assiettes fumantes.

LA RACINE DU MAL [TOME 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant