Partie 1

38 5 5
                                    

J'ai tellement froid! Je suis complètement gelée! Je pense que c'est ça que je déteste le plus de travailler dans une épicerie. À moins que ce soit le salaire moins qu'insatisfaisant? Le pire dans tout ça, c'est que je ne peux même pas porter de vestes! Je dois porter l'uniforme, qui est en manches courtes.

J'ai commencé à travailler à six heures ce matin et il est bientôt déjà quatorze heures. En plus de ça, j'ai pris mes deux quinze minutes de pause et mes trente minutes de dîner vers treize heures, donc je n'ai pas d'autres pauses d'ici quinze heures!

Au moins, je ne travaille pas jusqu'à la fermeture aujourd'hui. J'aurais pu, mais quand j'ai commencé à travailler ici, j'ai demandé la permission de finir plus tôt le dimanche. Après ma journée de travail, le dimanche, je vais directement au piano public, c'est-à-dire un piano installé au centre-ville qui est accessible à tous, afin de jouer une pièce et de ramasser quelques dons.

Le piano et le chant sont mes passions. Quand je joue de la musique, je suis dans un autre monde. Je ne m'appelle plus Melody, je ne travaille plus dans une minable épicerie et je ne pense plus qu'à toucher les bonnes notes. Je ne joue que le dimanche. Parfois, j'aimerais y jouer sans arrêter, mais le dimanche a une signification particulière pour moi. Je ne pense pas être capable un jour de jouer en public une autre journée que le dimanche.

Loan : Salut! Comment ça va?

Je sais, je sais. Je ne devrais pas regarder mon cell. Mais il n'y a aucun client, aucun! Je m'ennuie à mourir et Loan est une des seules distractions que j'ai dans une journée. Je ne le connais que depuis une semaine, mais on a une conversation d'un mois dans nos textos, au moins. Il est vraiment gentil, mais je me questionne sans cesse pour savoir s'il est sincère ou non. Je me suis fait tellement tromper dans ma vie que je ne sais plus s'il existe réellement de bonnes personnes. Surtout chez les hommes.

Il me fait penser à mon ami, mon seul ami, au primaire. Ce n'est pas vrai. Il n'était pas mon seul ami. J'avais aussi Amira, un ange. Elle était tellement drôle et attentionnée.

Melody : Je vais bien et toi? Le travail est long!

Ça me surprend la vitesse à laquelle je me suis affirmée avec lui. Habituellement, il me faut à peu près deux à quatre ans pour que je me degêne complètement. La plupart du temps, aucun ne reste avec moi tout ce temps là. Depuis mardi, je ne pense qu'à lui. Ce qui est autant une bonne chose qu'une mauvaise chose. C'est bien, car je pense à autres choses que mes problèmes. C'est mal, car je risque de m'attacher et d'être triste lorsqu'il m'abandonnera, comme tous les autres le font.

Loan : Je vais bien, merci. J'ai hâte de te revoir!

Me revoir? Merde! J'avais oublié qu'il venait me voir au piano public aujourd'hui. Ça va être seulement la troisième fois que l'on se voit en vrai. Je lui ai dit tellement de choses intimes (pas si intime que ça, mais quand même), ça va être super gênant. Surtout que je ne sais pas parler aux gens. Encore moins aux garçons.

Je sens l'anxiété monter. Et s'il décidait je n'étais pas assez bien pour lui? Et si je gâchais tout? Et s'il était devenu ami avec la fille que j'étais sur écran et non moi? Et si...


« Bonjour? »


Je relève la tête de mon cellulaire en vitesse. Une cliente attend que je scanne ses articles. Je suis vraiment gênée. C'est la première fois que je ne suis pas professionnelle avec un client. Et si ma gérante me virait ?!


« Bonjour madame, je suis désolée. Avez-vous votre carte scène +? »


Mes joues sont cramoisies et je me dépêche à scanner ses articles. La cliente me regarde de travers et me tend sa carte. Quelques minutes plus tard, elle part, sans oublier de me lancer un regard noir, que je mérite absolument. Je n'ai pas le droit de faire autre chose que mon travail, à cause de ce petit risque, je pourrais me faire virer. J'espère énormément que la dame ne va pas faire une plainte à mon sujet. Je ne pourrais pas survivre sans ce boulot.

Mes heures finies, je me dépêche à prendre mes choses et à quitter cet endroit glacial. Je me dirige vers l'arrêt de bus, réfléchissant à ce qui se passerait si la madame mettait une plainte sur moi.

Je sens l'anxiété monter et mes mains commencent à trembler. Les bruits autour de moi deviennent de plus en plus lointains. L'air entre de plus en plus vite dans mes poumons et je décide de m'asseoir sur un banc. Je mets ma tête dans mes mains et j'essaie de reprendre ma respiration.

1, 2, 3, 4, 1, 2, 3, 4, 1, 2, 3, 4...

Peu à peu, ma respiration reprend un rythme normal et je me remets en marche. L'épicerie jusqu'à chez moi prend une trentaine de minutes à la marche. Parfois, quand il ne fait vraiment pas beau, je prends l'autobus de ville, mais sinon je marche ou j'y vais en vélo. J'aime bien marcher, ça me permet de réfléchir. De plus, le chemin que je prends est souvent absent de d'autres passants, ce qui est nettement plus agréable.

Je suis presque rendue au bout de marche que je déteste. Mon quartier est un quartier démuni et dangereux. Toutes les habitations sont pauvres et ignobles. Les rues sont sales, des sans-abris traînent un peu partout et le silence est tout ce qu'on entend, bien qu'il y ait parfois des cris à faire geler le sang. Je ne veux même pas imaginer ce que vivent les personnes qui crient.

À chaque fois que je passe dans ces rues, j'ai le cœur qui bat à une vitesse pas possible et je manque de faire une crise de panique.  Les gens louches qu'on y croise, impossible de compter combien il y en a, tellement le nombre est élevé. 

***
Première partie du chapitre II! Comment avez-vous trouvé l'histoire du point de vue de Melody? Je sais qu'habituellement je publie le samedi, mais aujourd'hui je m'ennuie et je n'ai rien à faire (oui, j'ai de l'école, mais pas avant 9h30), donc je le fais tout de suite. Bref, à la semaine prochaine!

Lexa

Piano publicOù les histoires vivent. Découvrez maintenant