2 . Monstres

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  - Nous allons maintenant aborder un point particulièrement étrange, sujet inédit et pour l'instant inexpliqué.

   La voix de la présentatrice de télévision résonnait encore dans sa tête, cette voix à l'accent interrogateur, enfantin, presque niais. Son intonation faussement enjouée tapait sur les nerfs d'Oria. A croire que le monde est magnifique.

   Il était quatre heures du matin lorsque les chaînes télévisées débattaient presque toutes de la situation anormale soi-disant "étrange" et "inédite" (la jeune fille leva les yeux au ciel puis piocha dans son paquet de chips presque vide) qui se déroulait plus loin.

   Affalée dans son canapé, l'adolescente terminait de se déprimer en regardant les infos. Guerre, violence, pauvreté et tout le tralala déblatéraient devant ses yeux leurs horreurs sans lui causer une seule sensation d'effroi.

  - De nombreuses traces ont été signalées en périphérie de l'entreprise de tablettes numériques, continua la présentatrice. Des traces, certes, mais pas n'importe lesquelles. Nos experts sont sur le terrain. Valentin, pouvez-vous nous fournir quelques explications ?

   La caméra changea d'interlocuteur et le journaliste dénommé Valentin, entouré d'une immense foule qui poireautait là, (pour une raison sans doute stupide) prit la parole :

  - Bien sûr Chantal ! Je suis en ce moment même en compagnie d'un habitant du quartier qui ne comprend pas la situation. Monsieur, pouvez- vous nous donner des précisions, avez-vous vu, aperçu quelque chose, vous a-t-on expliqué la nature de cette soudaine évacuation ? Selon vous, quelle serait l'origine de ces traces ?

   Face au flot de question qui menaçait de le submerger, l'intéressé leva ses yeux noisette automne, presque verts printemps en direction du reporter.

  - Eh bien j'étais chez moi, dans l'immeuble d'en face. La police est venue sonner à ma porte et à celle de mes voisins pour nous faire évacuer. Personne ne comprenait. J'ai eu peur qu'il soit arrivé quelque chose de grave...

   Le journaliste faisait sans cesse des mouvements d'acquiescement, ce qui avait le don d'énerver Oria à un point...

   Pourtant, autour d'eux régnait une joyeuse pagaille organisée : des policiers tentaient tant bien que mal de sécuriser le périmètre à l'aide de barrières derrière lesquelles s'entassait une foule de curieux, de journalistes, de passants et de résidants qui avaient été contraints de sortir. Un hélicoptère sillonnait le périmètre de son phare aveuglant. Le faisceau de lumière, qui se promenait çà et là sur le terrain, ressemblait à celui de l'œil de Sauron dans Le Seigneur des Anneaux parcourant les terres du Mordor.

   Les véhicules des forces de l'ordre et des pompiers devenaient omniprésents, faisant grésiller le micro de Valentin par leur moteur et leur alarme trop bruyants.

   La nuit opaque se déchirait sous la lumière diffusée par les véhicules, révélant de profondes entailles dans le goudron. Ce dernier avait fondu par endroit, preuve d'une chaleur anormale.

   Valentin se pencha au maximum dans une position un poil comique au-dessus d'une des barrières de sécurité et tendit son micro à un policier. Ce dernier hésita un instant puis fixa d'un regard de détresse la caméra :

  - A votre avis, d'où proviennent ces traces sur le sol ? La police a-t-elle émis une hypothèse, est-elle sur une piste ? le guida le journaliste.

   L'homme répondit sans essayer de cacher son embarras face à la situation :

  - Nous ne pouvons rien dire pour le moment, mais nous voyons bien qu'il ne s'agit en aucun cas de traces de roues de voiture puisque les sillons sont trop droits pour appartenir à ceux de pneus, et nous avons relevé une très grande profondeur.

Le Chant des Âmes fantômesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant