8 . Paix à ton Âme

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Dehors, le ciel avait sorti sa palette d'ombre parsemée d'étoiles scintillantes. Le froid mordant rendait le spectacle moins grandiose. Oria se frictionna énergiquement les bras. Louna peinait à avancer avec la lourde veste que son père lui avait donnée afin qu'elle n'ait pas froid. Enzo poussait le caddie orné d'une lampe tempête dans lequel ils avaient entassé leurs réserves et James. Charly soufflait sur ses doigts glacés et Flo qui tenait une torche électrique, ne semblait pas être affecté par la météo.

Il avait seulement emporté son chocolat aux cranberries et un bouquet de coquelicots et de violettes qui embaumaient l'air autour de lui, précisant aux autres qu'il avait déjà tout ce qu'il voulait chez lui.

De temps en temps, il regardait ses fleurs avec nostalgie, si bien que Oria se demanda s'il n'avait pas perdu quelqu'un de cher pendant l'attaque de la ville.

- Nous allons faire un petit détour, déclara-t-il soudainement.

- Je ne suis pas sûr que ce soit prudent, corrigea Enzo.

- Vous dormez tous chez moi, n'est-ce pas ?

- Oui, répondit son interlocuteur avec méfiance.

- Et bien pour votre gouverne, c'est moi qui ai les clés, libre à vous de rentrer, mais moi, je fais un détour.

Cela étant dit, il s'engagea tranquillement dans une rue silencieuse. Enzo souffla et se résigna à le suivre, et comme personne ne voulait rester sans défense, ils optèrent pour la même décision. Sans vraiment le savoir, l'adulte était devenu comme le chef, celui à qui tous se référait.

La jeune fille remarqua alors l'étrangeté macabre des panneaux indiquant différentes destinations si l'on suivait la ruelle.

- Elionn, viens voir...

Ce dernier la rejoignit et contempla avec horreur ce que pointait Oria. "Hôpital de Tesille" était à peine visible sous une série de coups de couteau qui avait lacéré l'aluminium d'entailles grossières. L'indication Parking avait été presque arrachée et l'un des morceaux pendait lamentablement aux restes. Le dernier panneau avait été barré par un épais scotch noir collé à la va-vite, puis tagué d'une croix rouge dont le produit avait coulé sur le sol, formant une flaque morbide.

- On devrait rejoindre Flowen... proposa Elionn peu rassuré et constatant que les lampes s'éloignaient en les laissant dans le noir.

Oria piqua aussitôt un fard.

- Pourquoi ? Ça ne m'étonnerait même pas qu'il soit le créateur de cette... œuvre, cracha-t-elle avec mépris. Il est tellement anormal, je suis sûre qu'il va nous tendre un piège.

Elle frissonna en se rappelant la haine omniprésente dans les yeux de l'homme, son envie de se débarrasser au plus vite des ces gêneurs et surtout, surtout, la détermination inébranlable d'un tueur sans âme, prêt à tout pour parvenir à ses fins.

Soudain, un grand fracas métallique résonna dans l'air, provenant de derrière les adolescents. Ils se retournèrent précipitamment. Il n'y avait rien, hormis un tas de poubelles qui roulait encore au sol, comme si elles se tordaient de peur face à une terrible apparition.

- On court ? proposa Oria en chuchotant.

- On court.

Ils détalèrent dans la direction qu'avait pris le reste du groupe, en jetant de rapides coups d'œil par-dessus leur épaule.

En tournant au coin de la rue, ils se rendirent vite compte qu'il n'y avait personne. Ils étaient faiblement éclairés par la lune presque pleine, mais ne discernaient pas les recoins les plus sombres. Les bâtiments noyés dans l'obscurité bordaient sinistrement l'endroit, comme pour les piéger dans un labyrinthe sans fin. Une brise nocturne soulevait doucement quelques mèches de cheveux des deux personnes.

- Ils ont disparu... murmura Elionn entre deux grandes inspirations essoufflées.

- Non, c'est impossible, pas en si peu de temps ! tenta de relativiser Oria. Continuons à courir.

Ils repartirent à toute vitesse dans l'allée sombre. En une fraction de seconde, les réverbères s'allumèrent dans un bel ensemble, ce qui éblouit temporairement les adolescents, qui placèrent leurs mains devant leur visage.

Des appels retentirent brusquement, et ils reconnurent leur prénom. Au bout de la rue, des silhouettes et le faisceau d'une lampe se dessinèrent de plus en plus distinctement.

- Ce sont eux ! s'exclama la jeune fille.

Ils les rattrapèrent, et Elionn se jeta dans les bras de son frère paniqué.

- Où étiez-vous ? tonna Enzo. On ne se sépare pas ! Je pensais que c'était assez clair, mais ce n'est visiblement pas le cas.

- Il y a des panneaux étranges plus loin, et nous... commença Oria.

- Oui, je sais, ils sont comme ça depuis longtemps, la coupa Flowen. J'ai déjà suivi l'indication scotchée et je suis arrivé ici.

Il se décala pour qu'ils puissent voir la destination en question : le cimetière. Il n'était pas éclairé par les lampadaires, et semblait ainsi être une horrible flaque de ténèbres qui paraissait les inciter à pénétrer dans ce lieu interdit. Les grilles d'entrée gémissait et couinait sous l'impulsion du vent glacé. Le début parfait pour un film d'horreur. La voix de Flo les fit tous sursauter :

- Ne vous inquiétez pas, j'y suis allé pas mal de fois et il ne s'est rien passé ! essaya-t-il afin de détendre l'atmosphère. D'ailleurs, c'est là mon détour, donc je vais y entrer.

Comme pour le prouver, il ouvrit la herse qui grinça affreusement et entra avec détermination, en vérifiant où il mettait les pieds grâce à sa torche. Voyant qu'il n'y avait pas de danger, ils le suivirent, et Oria se jura d'emporter une arme la prochaine fois qu'ils sortiraient.

Ils slalomèrent entre les tombes, en ayant la terrible impression de profaner le sommeil des morts de leurs pas bruyants contre les graviers des allées. Ils avaient laissé le caddie à l'entrée, et étaient seulement équipés de la lampe tempête d'Enzo qui serrait fermement la main de sa fille.

Flowen s'arrêta devant une pierre tombale et ferma les yeux, semblant se recueillir. Il y était gravé un prénom et une date de naissance et de décès : Nayel Angst, 13 mai-13 octobre.

Il n'y a pas les années... remarqua Oria.

Lorsque Flo se réveilla pour déposer son bouquet dans un vase (il jeta les anciennes fleurs), James demanda timidement :

- Qui est-ce ?

- Mon fils. Il adorait les coquelicots.

Il y eut un silence respectueux où la jeune fille remit en question son point de vue sur lui.

- Il en est mort, termina amèrement le père en deuil.

Mort à cause des coquelicots ?

- Il... n'y a pas d'années... dessus... risqua-t-elle.

- Je sais. Bon rentrons, j'ai froid ! s'exclama Flowen en se secouant.




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Petit mot de l'auteur :

A ton avis, pourquoi Nayel est-il mort ?

Pourquoi n'y a-t-il pas les années sur sa tombe ?

Mystère...

Sa mort expliquerait peut-être le comportement étrange de Flo, le deuil, tout ça...

Je te laisse réfléchir sur ce point là, et bonne lecture !

(En espérant que la suite te plaise !)

Zani

Le Chant des Âmes fantômesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant