I - Le cinq de carreau

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«Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser jusqu'à ce qu'il trouve des limites.
Montesquieu.»

La saison estivale entretient ses derniers instants de gloire dans le paysage du continent, bientôt prête à tirer sa révérence, à l'approche des premières brises de l'automne qui se prépare à prendre sa place. 
Avant de se soustraire aux nuages gris et à la pluie qui inondera prochainement le ciel, le soleil s'emploie fermement à éclairer les prairies et les champs, gratifiant encore leurs occupants de ses rayons chauds et réconfortants. 
Dans les villages, les enfants profitent, jusqu'au bout, de l'été pour courir pieds nus dans les allées des marchés, bousculant en riant les commerçants et les travailleurs, eux bien trop occupés pour se joindre à leurs jeux. 

Sur les pentes des collines, insouciantes et imperturbables, les bêtes jouissent de l'herbe jaunie pour s'engraisser une dernière fois, sans se douter encore qu'elles serviront bientôt à nourrir les habitants du pays. 
A l'ombre des arbres garnis, les oiseaux chantent en cœur, et par delà toutes les lignes d'horizons, la vie s'illumine et s'agite. 
Le linge propre répand ses effluves, qui elles-mêmes se mélangent aux parfums enivrants des parterres de fleurs colorés, et il ferait presque bon vivre à Musutafu. 

Plus haut, perché sur les reliefs du royaume, les domestiques de la résidence royale ouvrent grand toutes les fenêtres du château avant que la fraicheur de la prochaine saison à venir ne les contraigne à les refermer. 
Dans les jardins de la cour, les fontaines à l'eau claire et pure font le bonheur des petits animaux sauvages assoiffés, tandis que les employés de la couronne vérifient encore et encore la taille des buissons qui les décorent. 
Aussi, une poignée de farouches s'accordent quelques minutes de prélassement, à l'abri du regard du roi et de sa garde personnelle alors que ces derniers se sont enfermés en réunion dès le début de l'après-midi. 

Derrière la porte fermée d'une salle privée, le roi, sa garde et son conseiller reçoivent, à l'occasion d'une assemblée stratégique, les plus prestigieux commandants d'armée. 
Aujourd'hui, comme tous les autres jours, la couronne organise et entretient ses conflits de territoires pour maintenir bien haute son image de prédateur autoritaire. 
Assis face à un bord de table, le haut gradé Yoarashi, qui s'inquiète des effectifs de plus en plus réduits de son unité, tente de faire entendre ses craintes en posant un poing ferme sur son propre genoux. 

_ Votre Majesté, pardonnez moi d'insister sur le sujet, mais mes troupes s'affaiblissent. Les armées de Shiono et de Fukuoka gagnent du terrain à Hosu, et si nous ne faisons rien, nous finirons par devoir reculer. 

Inasa Yoarashi, haut gradé d'une vingtaine d'années ne semblait pourtant pas né pour se placer si haut dans la hiérarchie. 
Mais, au fil des années et de ses exploits de guerre, son nom plus que les autres est parvenu aux oreilles du roi qui, soucieux de ne s'entourer que des plus prestigieux, a décidé de placer de grands espoirs en lui. 

_ C'est ridicule ! proteste son confrère Harima en secouant sa crinière décoiffée. Chaque saison nous perdons des hommes par centaines sur le territoire d'Hosu, et nous n'avons toujours pas colonisé le moindre champ. 

_ Que voulez vous coloniser au juste ? rétorque Yaorashi. Les terres d'Hosu ne sont plus que des amas de ruines et de cendres. C'est à peine si l'herbe y pousse encore. 

Le visage durcit, souligné par l'absence totale de cheveux sur son crâne, Inasa Yaorashi se retient de quitter cette table tant cette discussion lui fait perdre la tête. 
Voilà deux années entières que ses hommes tombent les uns après les autres, sans qu'aucune finalité ni victoire ne vienne donner un sens à cette bataille. 

_ Je vous prie de baisser d'un ton, intervient soudain le roi, la voix sèche et menaçante. Les terres d'Hosu n'ont malheureusement plus grand chose à offrir je vous l'accorde. Cependant, y affronter Fukuoka et Shiono nous permet d'occuper leurs armées. Pendant qu'ils investissent tous leurs efforts sur ce misérable bout de terre, nous pouvons employer le reste de nos forces à de plus larges intérêts. 

Dıx huıt mıllıons d'étoılesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant