VIII - Le trois de carreau

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«La méchanceté boit elle-même la plus grande partie de son venin.
Sénèque.»

Perché sur leur branche, Izuku observe le paysage lointain, secouant distraitement ses deux jambes dans le vide alors que le silence a fini par s'installer entre eux.
Lentement mais sûrement, depuis quelques dizaines de minutes, le soleil entame son déplacement vers l'est, signe que la fin de la journée se profile de plus en plus certainement.

Son regard rivé vers la grande demeure royale qui dissimule les champs et les chemins au loin, il scrute encore et encore, comme d'autres milliers de fois, ce décor si élégant mais qu'il déteste toujours autant.
Derrière les murs de l'immense construction, quelque part dans une des pièces, se trouve son père, et cette idée seule suffit à lui donner envie de fuir à grandes enjambées.

_ Vous m'aviez promis que nous serions de retour à seize heures pour débuter un entraînement. tranche soudain Katsuki, les deux mains en appuis contre l'écorce. Et à juger par la position du soleil, vous n'avez pas tenu parole.

_ Rien ne vous a empêché de me faire cette remarque plus tôt, rétorque le prince sans conviction ni détermination, la balade vous aurait-elle plu ?

Sans doute interpellé par le ton inhabituellement déprimé d'Izuku, qui l'a pourtant accoutumé à plus d'enthousiasme dans ses paroles, le commandant se donne le temps de couler vers lui un regard intrigué.
Examinant patiemment l'ensemble de sa posture, inspectant la courbure attristée de son dos, et scrutant la morosité évidente qui envahit son visage, il termine son observation en fronçant discrètement les sourcils.

_ Où est passée votre impertinence ? questionne t-il réellement.

_ Mon impertinence possède cette chance, que je lui envie chaque jour de ma vie, de pouvoir s'enfuir et disparaître comme bon lui semble.

_ Et bien .. soupire Katsuki sans vraiment savoir ce qu'il dit, fuyez donc vous aussi. Si tel est votre désir, faites.

Soudain, et après deux courtes secondes de silence creux, la gorge d'Izuku résonne d'un rire sarcastique de plus en plus forcé.
Comme si les mots de Katsuki mélangeaient en lui l'envie de rire à poumons ouverts et de pleurer jusqu'à ce que son âme elle même s'assèche, il cesse de faire bouger ses jambes, déplace son regard vers une zone vierge du paysage, puis scelle sa bouche après près d'une minute. 

_ Il semble que vous ayez réellement raté une grande carrière de bouffon Katsuki, vous avez l'humour dans le sang, n'est-ce pas ? 

_ Qu'ai-je dis de si drôle ? 

_ Il n'existe aucun endroit en ce monde, pas même le plus profond de tous les terriers, dans lequel je pourrai me cacher sans que mon père ne parvienne à m'y retrouver. Vous savez, je me fiche qu'il me déshérite, il peut me renier autant de fois qu'il le jugera utile pour sa conscience. Mais avez vous une idée de ce qu'il me fera subir pour le déshonneur ? Je pense souffrir déjà suffisamment en sa compagnie, et du simple fait d'être né de sa chair. Je ne pourrai jamais supporter l'idée de mourir en plus de sa main. De toute les choses que cet homme acquiert et possède sans l'avoir jamais mérité, prendre ma vie en serait la pire de toute. J'accepterais plus volontiers de me faire dévorer vivant par des porcs que de lui céder mon sang. 

Pantois autant que muet après la tirade du prince, Katsuki demeure immobile et silencieux un long moment, les yeux rivés sur la silhouette du jeune homme sans véritablement le regarder pour autant. 
Dans son champs de vision, le décor se fait flou tant il devient incapable de rester concentré sur ce qui l'entoure et, avant qu'il ne puisse trouver quelque chose à répondre, Izuku se manifeste à nouveau pour le tirer de sa soudaine torpeur. 

Dıx huıt mıllıons d'étoılesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant