IV - La dame de carreau

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«On rencontre sa destinée souvent par les chemins qu’on prend pour l’éviter.
Jean de la Fontaine»

Sur les terres de Musutafu, et depuis que le roi protège ses arrières en s'assurant de la loyauté et du soutien sans faille de chacun de ses soldats, ces derniers cohabitent tous à six ou huit dans les maisons militaires, commandées et construites aux frais du souverain lui-même.
Toutes situées à proximité du château, dans un périmètre n'excédant pas une dizaine de kilomètres de distance, elles permettent non seulement de loger facilement les hommes, mais surtout de les rendre toujours plus redevables à l'égard de leur souverain.

Bien que rudimentaires, ces logements restent gratuits pour leurs occupants, en plus de leur donner accès à toutes les commodités nécessaires à leur confort.
Les lits y sont garantis douillets et les cuisines parfaitement fonctionnelles, même si l'intimité demeure absente dans les grandes chambres, une seule par habitation, que les soldats se partagent toutes les nuits. 
En bon commandant d'infanterie, et puisqu'il n'est pas question de mélanger les grades, Katsuki vit aux côtés d'hommes de son rang.

Des hommes qu'il ne porte pas particulièrement dans son cœur, pas plus que dans son estime, pour la plupart.
Harima et Yaorashi bien sûr, qu'il côtoie déjà beaucoup trop à son goût, à l'image de Monoma, qui cependant se fait rare dans la maison depuis le soulèvement du sud du pays.
Le discret Todoroki, fin stratège mais aussi éloquent qu'une carpe, l'insupportable Iida et ses leçons de morale, et bien sûr le détestable Kuroiro, qui peut désormais se vanter d'avoir hérité du poste de Katsuki pour la prochaine offensive sur Shiono.

Sept hommes donc, depuis le décès en mission du seul confrère dont Katsuki tolérait la présence, Aïzawa Shota.

Chaque soir quand ils ne bataillent pas sur le terrain, il s'endort en devant supporter leurs ronflements et leurs odeurs parfois douteuses, puis se réveille le matin avec leurs affreux visages pour décor.
Et, d'une manière générale, il déteste cet endroit.
L'unique fenêtre de leur chambre, bien trop petite pour éclairer convenablement l'ensemble de la pièce, donne sur une maison voisine qui dissimule une grande partie du paysage.

Celle de la pièce principale, qui leur sert autant de cuisine, de salle à manger et d'espace de vie commune, ne s'ouvre qu'à moitié, bloquée par l'imposante cuisinière à bois qui borde le mur.
La table sur laquelle ils prennent leur repas ne peut accueillir que quatre couverts à la fois.
Il est vrai que les sept hommes se réunissent rarement tous en même temps, alors qu'il en manque toujours au moins un ou deux, partis en mission pour une durée indéterminée.

Malgré tout, il suffit qu'ils soient cinq, et les repas se transforment en débats enflammés pour décider de ceux qui mangeront en premier.
Aussi, les effets personnels de chacun s'éparpillent systématiquement à droite et à gauche, générant un bazar quasi permanent qui horripile Katsuki.

Mais le pire dans ce logement, aux yeux de Katsuki tout du moins, c'est l'affreuse pièce du fond.
Ils y accèdent par une porte en bois, toujours minutieusement fermée, placée juste avant l'entrée de la chambre.
À l'intérieur, une grande bassine en ferraille, qu'ils remplissent d'eau chauffée pour se laver les uns après les autres, et qu'ils doivent se partager.
Des linges plus ou moins souvent propres leur servent à prendre leur toilette.

S'il y a une chose pour laquelle Katsuki s'est battu bec et ongles, c'est de passer le premier à l'heure du bain.
Hors de question de se frotter avec une eau déjà usée, savonneuse autant que poisseuse.

Dıx huıt mıllıons d'étoılesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant