XI - Le huit de cœur

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«Un jour, j'ai vu briller son âme dans la profondeur de ses yeux. 
Son cœur me souriait.
John Joos.»

Chacune de ses hésitations le ramène à ses plus profondes insécurités. 
En dépit de l'épaisseur du blindage qu'il s'est construit, année après année, couche après couche, pour recouvrir ses peurs, ses peines et son désarroi, il perd toujours pieds face à ce sentiment de médiocrité que lui inspire sa propre personne. 

Izuku croit en ce qu'il défend, il sait que d'autres avant lui, et sûrement après lui, porteront le même étendard. 
Mais c'est en sa capacité à réussir quoi que ce soit qu'il ne croit plus, depuis longtemps en outre. 
Il porte sur son dos une volonté trop lourde pour son pitoyable corps, et il fait toujours le choix de fuir, d'une manière ou d'une autre, quand il s'agit de défier ses habitudes et ses maigres compétences. 

Pour autant, pas cette fois. 
Même si, en toute honnêteté, il le regrette déjà. 

Il pensait pouvoir se moquer éperdument de ce que penserait ce parfait inconnu de son immense incapacité, songeant qu'il se contenterait d'être et de rester mauvais dans ce qu'il fait, en attendant que ça se termine par un échec programmé. 
Mais, tout d'un coup, après s'être pris d'une affection étonnement naturelle pour ce commandant, à qui personne n'a appris à vivre autrement qu'à travers une arme, il se voit de nouveau trembler d'inconfort à chaque mouvement qu'il entreprend avec cette malheureuse épée en bois. 

Du reste, il y avait longtemps qu'il n'avait pas manié un de ces outils d'entrainement. 
Des années, même. 
Si sa mémoire ne lui fait pas complètement défaut, la dernière fois qu'il a participer à une session d'apprentissage de ce genre date de l'époque de ses quatorze ans. 
A force d'insistance et de menaces, son père était parvenu à le convaincre d'accepter les leçons de combat de son professeurs, mais il n'en aura finalement effectué que trois, avant d'abandonner, et de fuir. 

Il se souvient bien de la présence de son père, dans un coin de la pièce, au cours de ses entraînements forcés, qui criait son nom, le visage tordu d'agacement, pour lui reprocher sa maladresse et son manque de puissance. 
Du début à la fin, il observait et commentait négativement chacun de ses gestes, hurlant si fort que tout le château pouvait entendre le jeune prince se faire humilier.
Et plus il s'énervait, plus les bras d'Izuku tremblaient, ses mains se faisaient de plus en plus moites, et ses jambes se plantaient dans le sol, immobilisant son corps entier. 
Et la colère du roi grandissait. 

Il s'approchait, le pas lourd et la respiration sifflante et, tout en le saisissant par les épaules pour le secouer comme on agiterait une poupée de chiffon, il répétait sa déception, à quel point l'échec qu'était son fils le rendait fou. 

"Comment peux-tu être aussi incapable ? Un nouveau-né saurait mieux se battre que toi !"

Alors aujourd'hui, comme à l'époque, Izuku n'arrive à rien. 
Ses bras raides et fébriles n'obéissent à aucune consigne de son cerveau, la honte recouvre son visage, elle se fait de plus en plus opaque devant ses yeux à chaque minute qui passe, et plus le soleil s'élève dans le ciel, plus il suffoque dans ses propres poumons. 

Du reste, la chaleur de midi approchant, la transpiration baigne sa peau. 
Pourtant, il ne fait aucun effort. Il essaie, mais il sait qu'il ne fait aucun effort. 

"Tu ne fais aucun effort pour y arriver. Arrête de dire que tu essaies. Si tu faisais des efforts, tu arriverais à quelque chose ... Tu n'en fais pas. Regarde toi." 

Finalement, il n'aurait pas dû se montrer si impatient d'aller réveiller Katsuki, il aurait mieux fait d'admettre qu'il portait un masque jusque là, et fuir. 
S'enfermer dans sa chambre, refuser de continuer cette mascarade ridicule, et envoyer le militaire dans l'échec à sa place. 
Il se serait au moins éviter cette sombre humiliation qui dure depuis des heures. 

Dıx huıt mıllıons d'étoılesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant